La tombe TT 77 fait partie de ce vaste groupe des tombes décorées de la nécropole thébaine en médiocre état de conservation. Mais parmi les restes de la décoration murale de ce monument, on trouve encore quelques scènes superbement réalisées, qui méritent d'être présentées en couleur. Le Pr Lise Manniche (de l'université de Copenhague) a publié cette tombe en 1988 : "The Wall Decoration of Three Theban Tombs (TT 77, 175 and 249)". Elle m'a encouragé à faire cette présentation sur Osirisnet et m'a fourni les photographies en couleur correspondant aux zones les mieux préservées.

DÉCOUVERTE, LOCALISATION

The hill of Gurna (under the balloons)
La colline de Gourna (sous les ballons)

La tombe TT 77 se trouve près du sommet de la colline de Cheikh Abd el-Gourna. Elle occupe donc un emplacement privilégié car, au moment où elle est creusée (règne de Thoutmosis IV / Amenhotep III) la zone ne comporte pas encore les dizaines d'hypogées qu'on y trouvera plus tard. Cette situation en hauteur permet également à Ptahemhat et à ses visiteurs de bénéficier depuis l'entrée du monument, d'une vue magnifique sur la plaine, avec le Nil au loin.

TT 77 est l'une des tombes déjà connues des pionniers de l'épigraphie travaillant dans la nécropole thébaine dans les années 1820. Wilkinson, Prisse d'Avennes et Champollion lui-même ont visité l'hypogée et l'ont trouvée "très ruinée", même si au vu des croquis qu'ils en ont faits, elle était manifestement en bien meilleur état qu'aujourd'hui.

Schott, puis Davies et Gardiner ont copié la plupart des inscriptions et en 1957 la plus grande partie des textes parait dans les , p. 1597-1601.
La publication la plus complète du monument est toujours celle de Lise Manniche mentionnée plus haut.

Les deux occupants successifs de la tombe TT77 et d'autres personnages

Ptahemhat

L'identification des occupants de la tombe a fait l'objet d'une polémique qui a duré des années. Elle était due essentiellement au fait que le nom de Ptahemhat avait été effacé de toutes les inscriptions importantes. Finalement, il s'avère que la tombe 77 a connu deux propriétaires successifs, Ptahemhat et Roy, sans qu'il y ait eu une véritable usurpation de la tombe par le second.

Quelque temps après le décès de Ptahemhat, c'est un nouvel arrivant du nom de Roy qui le remplace ; nous sommes cette fois sous Amenhotep III, ou même un peu plus tard. Roy a "récupéré" pour son usage le monument funéraire initialement réalisé pour Ptahemhat quelques années plus tôt ; le mot "usurpé" n'est pas approprié et il faut lui préférer celui de réoccupation (légale), nous verrons pourquoi.

Titres et fonctions de Ptahemhat

Ils apparaissent aussi bien dans le hall que dans le passage longitudinal de la tombe. Le plus fréquent est "Xrd-n-k3p (selon Manuel de Codage)".

Ptahemhat n'embrasse pas la carrière militaire, ce qui semble avoir été assez fréquent pour les enfants formés au kap, mais devient "Imy-r k3wt n Imn", "Directeur des approvisionnements d'Amon" et "Imy-r 3hwt n Jmn", "Directeur des champs cultivés d'Amon". L'une des épithètes utilisées le désigne comme "Supérieur de (tous les) directeurs de travaux". Le premier de ces titres est transposé dans la chapelle : Ptahemhat transporte des provisions et des marchandises diverses vers le Temple de Millions d'Années de Touthmosis IV, sur la rive ouest de Thèbes.

Qui est le porteur d'éventail ?

Il n'y a aucun doute sur l'occurrence du titre de TAy dans la tombe. Il faut lire "flabellifère" et non "porte-enseigne" (les deux fonctions sont distinctes).

Helck est arrivé à quelques conclusions générales sur le titre de "flabellifère à la droite du roi" . Il s'agit d'un titre honorifique accordé à ceux qu'on veut promouvoir pour des raisons non militaires, en particulier les fonctionnaires employés au palais et, à partir de l'époque de Touthmosis IV, le vice-roi de Koush.

Les hauts fonctionnaires de l'administration (vizir, trésorier, chef des greniers) et les prêtres ne devinrent des "flabellifères à la droite du roi" que sous le règne d'Amenhotep III. Dans le cas de la TT77, le nom qui suit le titre a été effacé ; néanmoins la taille de l'inscription indique qu'il s'agit bien de Ptahemhat lui-même. Ptahemhat est non seulement un haut fonctionnaire au sein de l'administration du temple, mais il est aussi "prince héréditaire, maire". Ce sont les titres qu'il porte lorsqu'il est représenté en train de chasser les oiseaux dans les marais. À tous égards, c'est un homme qui "plaît à son Seigneur, le Roi".

Autres personnes représentées dans la tombe

Meryt, épouse de Ptahemhat. Son nom apparaît également dans l'inscription quasiment invisible dont nous avons parlé, après le titre de "chanteuse d'Amon", répandu chez les femmes de la cour.
Nebsen est le nom d'un frère de Ptahemhat, militaire dans la charrerie ; il apparaît parmi les noms de la scène du banquet. Parmi les autres invités, deux "enfants du kap", Nedjem et Paser, sont cités.

Roy, un nouvel occupant

Inscription of Roy
Ptahemhat has been arased (fig2)
Les inscriptions de Roy et de son épouse Rahouy (fig 2)

Peu de temps après la mort (?) de Ptahemhat, un nouvel occupant, le "chef des sculpteurs du Seigneur des Deux Terres, Roy" écrit à l'encre noire son nom et celui de sa femme sur le mur frontal sud de la salle transversale. À ce moment-là, les figures de Ptahemhat et de sa femme n'étaient apparemment pas grattées, car il n'aurait guère été valorisant pour le nouveau venu d'associer son nom à un personnage défiguré.

Il semble que Roy n'a causé aucun dommage réel à la tombe. Ses inscriptions par exemple sont écrites sur des parties anépigraphes du mur et ne recouvrent aucun texte plus ancien.

Pour Daniel Polz, les ajouts de Roy ne peuvent être considérés comme des indices d'une usurpation du tombeau ; selon lui, la question se pose même de savoir si Roy a vraiment réutilisé TT 77 ou si ces inscriptions ne sont pas plutôt à mettre sur le compte de visiteurs de passage.

Rappelons qu'en juxtaposant son nom à celui de Ptahemhat, Roy peut profiter des offrandes physiques faites au premier occupant par ses parents ou par un prêtre funéraire rémunéré. De plus, il peut aussi bénéficier du décor peint sur les parois qui peut remplacer, par magie sympathique, l'arrêt du service des offrandes.

Les destructions touchant le décor des Tombes Thébaines

Damnatio memoriae, vandalisme, iconoclasme...une certaine confusion règne parfois dans la littérature pour classer les dégâts observés dans les tombes. Alan Schullman a pourtant écrit depuis un demi-siècle un article qui a clarifié le problème. Voici la partie intéressante :

"[...] La damnatio memoriae est une pratique consistant à détruire la mémoire et l'existence même d'une personne à la connaissance de ses contemporains et de la postérité par l'effacement systématique de son nom, de sa ressemblance et de ses monuments. Pour les Égyptiens, cette pratique a un double objectif : effacer la mémoire de la victime sur terre et détruire son existence dans l'au-delà. Ainsi, pour être pleinement efficace, une damnatio memoriae doit inclure à la fois l'effacement de l'image de la personne visée mais aussi l'effacement simultané et complet de son nom partout où il apparait. En effet, l'essence d'un homme ne réside pas seulement dans ses caractéristiques physiques (par exemple, le nez aquilin proéminent de Senmout, le célèbre chancelier de la reine Hatchepsout). Son nom possède en lui-même l'essence du personnage, de sorte que, même si tout autre vestige est détruit, tant que le nom est intact, l'identité - la substance - de son propriétaire est également intacte."

Dans les détériorations qu'on peut rencontrer, il faut distinguer la damnatio memoriae, l'usurpation, l'iconoclasme, la simple magie sympathique superstitieuse.

Ainsi, lorsque le nom du sujet a été effacé ou remplacé par un autre, mais que par ailleurs, les dégâts infligés à ses représentations physiques sont faibles ou nuls, il ne faut pas automatiquement conclure à la damnatio memoriae. Il s'agit d'une usurpation, clairement un cas de réutilisation du monument d'une personne par une autre à des fins personnelles.

Il en est de même dans les cas où les représentations physiques du propriétaire du monument sont mutilées ou effacées, mais où le nom est intact dans l'inscription qui l'accompagne. Dans la mesure où l'essence de l'individu subsiste tant que le nom subsiste, une telle attaque, portant uniquement sur ses traits physiques d'un personnage, n'implique pas la destruction obligatoire de la personne. En fait, c'est une image anonyme, une effigie qui subit les dommages. Il s'agit d'iconoclasme et non de damnatio memoriae.

Par ailleurs, même dans les cas où les conditions d'une véritable damnatio memoriae sont remplies, il ne faut pas automatiquement l'attribuer à une déchéance de la faveur royale, sauf si des preuves convergentes existent. Des personnages autres que les souverains peuvent être responsables de la profanation posthume de la mémoire et des monuments d'un ennemi détesté.

Compte tenu de ce qui précède, comment déterminer si tel ou tel individu a subi une damnatio memoriae ? Si nous ne possédons qu'un seul monument pour la personne en question, à moins qu'il ne remplisse clairement les deux conditions, l'effacement des traits physiques et du nom, on ne peut pas conclure. Si, par contre, nous possédons pour un personnage plusieurs monuments souffrant de dommages de divers degrés, nous pouvons peut-être arriver à une conclusion, mais seulement après un examen minutieux de tous les monuments, avec une analyse approfondie du type et des dommages subis par chacun.

Les destructions touchant le décor de la tombe TT77

Comme c'est fréquemment le cas dans la nécropole thébaine, la décoration de la tombe n°77 n'a jamais été achevée ; de plus, elle a beaucoup souffert de négligence, vol et malveillance à différentes époques.

Selon Manniche, les destructions auraient débuté peu de temps après les funérailles. Il semble s'agir d'une vengeance personnelle orchestrée par quelqu'un qui connaissait bien le propriétaire de la tombe. Les noms Ptahemhat et Meryt, ainsi que leurs images et certains des textes d'accompagnement les plus longs, sont grattés partout où ils apparaissent dans un contexte public et officiel. Par contre, les textes ou titres de moindre importance sont respectés. On peut noter que Meryt, lorsqu'elle est seule, sans son mari, est respectée aussi. Le travail a été minutieux : les murs sont creusés jusqu'aux couches préparatoires de plâtre, laissant persister au mieux des représentations fantomatiques.

Des inscriptions de Roy et de sa femme ont également été grattées. Si une inscription presque invisible dans le couloir a été laissée intacte, peut-être en raison de son manque de lisibilité, par contre, toutes les zones inscrites au niveau de la fausse porte ont été martelées.

Kampp s'inscrit en faux sur la chronologie des destructions ; il pense que la damnatio memoriae a concerné non pas Ptahemhat mais plutôt Roy. Comme on ne connaît pas sous les ramessides, de cas de destruction pour damnatio memoriae Kampp en conclut que Roy était en fonction au plus tard sous Amenhotep III.

La tombe a aussi subi les destructions habituelles de l'époque amarnienne, centrées sur le nom et le culte d'Amon. Enfin au XIXe siècle, la chapelle étant restée accessible, a subi de grands dégâts, mutilant encore plus ce malheureux monument.

Architecture

Avant-cour et façade

Devant la tombe, on trouve une grande cour ouverte vers l'avant ; la zone était recouverte par une énorme quantité de déblais que les siècles avaient accumulés. L'hypogée est taillé dans une roche friable de très mauvaise qualité et il a fallu dès le début procéder à des "rafistolages", à l'aide de mortier et d'éclats de calcaire. Néanmoins, on trouve trace d'un travail préparatoire pour poser des pierres d’encadrement au niveau de la porte. Le reste de la façade n'est pas décoré.

Salles intérieures 

TT 77, plan after Kampp
TT 77, plan selon Kampp

La chapelle a été creusée profondément dans la montagne, dans laquelle elle s'enfonce d'au moins vingt mètres. Le plan général est celui en T renversé, classique à cette époque, avec une entrée courte, une salle transversale (Hall) dont on voit sur les deux extrémités.
La salle longue (Passage) s'ouvre au milieu du mur qui fait face à l'entrée. Au fond du passage, on trouve une petite chapelle transversale inachevée, et une niche.

Les plafonds

Les plafonds des deux salles transverses (la principale, juste après l'entrée et la petite chapelle au fond du hall) sont voûtés, Le plafond du passage longitudinal est plat.
Les plafonds sont divisés en caissons séparés par d'épaisses bandes de peinture jaune - imitant des poutres en bois – portant des inscriptions. Les caissons ainsi délimités sont peints de motifs géométriques.

Le décor, généralités

Renenutet
Renenoutet

Les murs, grossièrement taillés, ont été recouverts d'une épaisse couche de mouna sur laquelle a été appliquée une couche de plâtre brun pâle de 0,5 à 1,0 cm d'épaisseur. Un carroyage servant de guide aux décorateurs a été tracé en rouge sur le plâtre. L'artisan a ensuite réalisé le décor d'une main habile et sûre, avec peu de corrections.

Lise Manniche, qui a beaucoup étudié les tombes thébaines du Nouvel Empire, y a identifié onze thèmes récurrents : des représentations du roi, des représentations du propriétaire de la tombe accomplissant les actions de sa charge, le propriétaire de la tombe faisant des offrandes de pêche et de chasse au gibier, la chasse dans le désert, des scènes agricoles, la fabrication du vin, les rites funéraires, le voyage à Abydos, la cérémonie de l'ouverture de la bouche, et des scènes de banquet.

Les figures sont grandes et conviennent bien aux pièces spacieuses. La palette des couleurs est variée, notamment dans le hall. Dans ce qui reste de la décoration dans le passage, le rouge et le rose ont tendance à dominer. L'ensemble du décor est exécuté dans le style soigné et clair de la période ; par exemple, la représentation de la déesse Renenoutet est l'œuvre d'un véritable artiste. Il existe une légère différence dans le style des peintures d'un mur à l'autre, probablement parce que plusieurs peintres étaient à l'œuvre.