L'actuelle Elkab correspond à l'ancienne cité de Nekhen, autrefois ville très importante, capitale puissante du 3ème nome de Haute Égypte. [N.B. "Kab" ne voulant rien dire en Arabe, à la différence par exemple de "Medineh", le nom du site s'écrit bien Elkab et non el Kab. Merci à Laurent Bavay de me l'avoir signalé]
Au nord-est de la ville se trouve une colline en grès truffée de tombes qui datent pour l'essentiel du début de la XVIIIe dynastie ( et ). Toutes ces tombes sont précédées d'une terrasse commune ().
La chapelle N°5 de Iahmes-fils-d'Ibana est célèbre pour son texte autobiographique qui raconte les campagnes militaires auxquelles le défunt a participé, mais le monument n'a jamais fait l'objet d'une publication complète.
La chapelle a, selon ses dires, été réalisée par le petit-fils du défunt, Paheri, pour célébrer cet ancêtre fameux… et la lignée dont il était lui-même le descendant.
Iahmes n'a pas été enterré ici : il n'y a qu'un seul puits funéraire, creusé dans une annexe, et il est postérieur à son décès. Paheri, lui, a sa propre sépulture à proximité.

Le personnage

Notre héros, de son vrai nom Iahmes-fils-d'Ibana (traditionnellement rendu par "Ahmes-fils-d'Abana") a servi comme chef des rameurs (marins) du roi ("Amiral" en quelque sorte) sous trois souverains successifs du début de la XVIIIe dynastie : Amosis, Amenhotep I et Thoutmosis I (vers 1580-1520 av. J.-C).

Paheri, petit fils d'Iahmes par sa mère, ne manquera pas de se rattacher à ce célèbre ancêtre dans sa propre sépulture (voir ).
C'est également lui qui a fait graver l'inscription dans la tombe de son grand-père Iahmes, comme il le rappelle devant la figure qui le représente aux pieds de celui-ci, sur le mur est : "C'est le fils de sa fille qui a conduit les travaux dans cette tombe, en faisant vivre le nom du père de sa mère, le scribe des contours, Paheri, juste-de-voix".
Partout dans la tombe cette descendance du côté maternel, considérée comme prestigieuse est mise en avant, incluant les ancêtres maternels et les cousins, tandis que le côté paternel est ignoré. La généalogie n'est pas claire. Voici ce que j'ai cru comprendre : Baba et Ibana sont les parents de Iahmes ; Ipou est l'épouse de Iahmes ; Hery-iry est le fils de Atefroura (qui fut tuteur du prince royal Ouadjmes) et de Satamon ; Paheri est fils d'Atefroura et de Kem, et donc demi-frère de Hery-iry.

Contexte historique

Les nomarques (gouverneurs) d'Elkab et leurs familles étaient d'ardents soutiens de la nouvelle dynastie thébaine naissante, qui devait affronter d'incessantes et épuisantes guerres, et cette loyauté a été largement récompensée en or, terres et personnel. Ils servaient même souvent de précepteurs pour les enfants royaux, comme cela est explicitement indiqué pour le père de Paheri. Ils finiront par avoir le contrôle de toute la région située entre Elkab et Esna.

Les chroniques de guerre de Iahmes-fils d'Ibana sont des textes importants pour la connaissance de l'histoire égyptienne, car elles constituent la seule source actuellement disponible (avec l'inscription de la tombe voisine appartenant à Iahmes-pen-Nekhbet, un peu plus tardive) sur l'expulsion des Hyksos de la vallée du Nil et la reprise en main par les premiers souverains de la XVIIIe dynastie de leurs possessions africaines et asiatiques, qui s'étaient détachées pendant cette occupation. Selon Hodjache et Berlev (cités par Vandersleyen) : "Si nous n'avions pas une inscription biographique de l'un des compagnons d'armes d'Amosis I, le chef des rameurs Ahmes fils d'Abana, gravée à l'époque de Thoutmosis I [?], notre science aurait pu ignorer que le mérite d'avoir secoué le joug étranger revenait à Amosis I".
On a ici un des exemples de la pauvreté des sources historiques sur lesquelles repose l'histoire de l'Égypte, puisqu'il ne s'agit après tout que d'une chronique personnelle.
Pour mémoire, les Hyksos sont des peuplades asiatiques refoulées par les invasions indo-européennes du second millénaire av. J.-C. Ils ont installé deux dynasties de souverains dont le pouvoir s'étendait sur la Basse et la Moyenne Égypte. Leur capitale était Avaris dans la partie orientale du Delta. Le souvenir de cette occupation étrangère du Double-Pays demeura longtemps dans l'imaginaire égyptien. Ce fut une des raisons majeures qui amenèrent les pharaons de la XVIIIe dynastie à constituer et étendre un empire qui, outre les richesses qu'il leur procurait, protégeait la vallée du Nil contre de nouveaux envahisseurs.
Ces textes nous montrent aussi ce que pouvait être la carrière d'un officier de valeur, ainsi que les honneurs et avantages matériels qu'il pouvait en retirer.

Les évènements ont dû se dérouler de la façon suivante

:

Le long siège d'Avaris terminé, l'armée égyptienne poursuit les Hyksos qui se réfugient dans leur place forte de Sharouhen, dans le sud de la Palestine. Alors commence un autre long siège de trois ans, focalement interrompu par des rébellions en Égypte même, que le roi Amosis doit aller mater. La citadelle finit par tomber, et les Égyptiens poursuivent leur poussée vers la Syro-Palestine, à la fois pour en finir avec les Hyksos et pour mettre la main sur cette région.

Ceci fait, Amosis porte son armée à l'extrême sud, en Nubie. Les révoltes avaient rendu cette région, égyptienne jusqu'à la fin du Moyen Empire, pratiquement autonome. Deux expéditions rétablissent la souveraineté égyptienne.
Ainsi se closent les guerres et sans doute le règne d'Amosis. Iahmes aura donc fait partie de toutes les campagnes de ce roi.

Sous le règne de Thoutmosis I, Iahmes est toujours en service actif dans la marine. Il amène l'armée égyptienne en Nubie pour la première campagne. Il est alors nommé amiral de la flotte. La campagne se conclut triomphalement avec le retour des bateaux en Égypte, un ennemi tué étant suspendu tête en bas au vaisseau royal.

Puis vient l'expédition célèbre au Naharina, dont on ne trouve mention qu'à Elkab, dans les tombes des deux Iahmes.

La tombe n°5

Il s'agit d'une salle rectangulaire, à plafond voûté, orientée presque nord-sud, dans laquelle on entre par une ouverture dans la falaise. Au bout du mur est, une ouverture donne sur une petite pièce annexe, également rectangulaire.

La facade et l'entrÉe

De gauche à droite : falaise taillée en pilier, entrée de la tombe d'Iahmes,
entrée bouchée d'une tombe anonyme (X), entrée de la tombe de Setaou

Comme on le voit sur le , la tombe de Iahmes se trouve entre deux éperons rocheux artificiels : à gauche, une ébauche de pilier quadrangulaire (photo ci-dessus, la plus à gauche), et à droite, une saillie partiellement aplanie qui sépare cette sépulture de celle de Setaou, plus tardive. Entre les deux, on voit le rond clair d'une tombe anonyme jamais achevée, bouchée à l'époque moderne.
Les photos ci-dessus montrent la mauvaise qualité de la roche et son degré élevé de stratification ; on y voit aussi que la façade de la tombe est talutée vers l'intérieur, et n'a pas fait l'objet d'ajouts de plâtre ou de maçonnerie.

Le pourtour de l'entrée a beaucoup souffert (). Sur une zone de relief levé un linteau et deux jambages étaient gravés dans le creux. En haut, à droite, on trouve un homme debout, main droite levée, main gauche serrant une pièce d'étoffe. Il s'agit de Paheri, dont le reste du texte sur le jambage droit nous apprend (on retrouve le texte dans la tombe) qu'il a fait cette tombe pour son grand-père maternel.
Du côté gauche devait se trouver une scène symétrique.

L'entrée dans la tombe se fait par une petite marche. Les deux murs latéraux du petit couloir d'accès ne comportent plus de décor, si tant est qu'ils en aient eu un un jour. On pénètre dans la pièce par son extrémité sud. Le sol est recouvert d'un dallage moderne qui cache complètement le niveau antique.
La qualité de la décoration est très moyenne. Les silhouettes ont été dégagées de la paroi, mais sont restées planes : il y a très peu de détails gravés, et la peinture a quasiment disparu, il n'est même pas sûr qu'elle ait été réalisée partout.
Nous allons commencer notre description par le mur ouest, qui se trouve donc à gauche en entrant.

Le mur ouest

En haut de la paroi, deux lignes horizontales délimitent une bande à fond blanc comportant une inscription en hiéroglyphes dans le creux, sans détails. Elle est surmontée par une frise de khakérous. Il ne semble pas que le plafond au-dessus ait été décoré.
Texte du bandeau : "[… qu’il (s) accorde (nt)] une offrande invocatoire (consistant en) pain, bière, bovidés, volailles, (vases d’) albâtre, (pièces de) tissu fin, onguent, toute chose bonne et pure, […], tout légume, de respirer le doux souffle du vent du nord, de sortir sous forme de ba vivant, de boire l’eau provenant du flot du fleuve pour le ka du supérieur des rameurs, Iâhmes, fils d’Abana, juste-de-voix, et son épouse, la maîtresse de maison, Ipou. […] qui fait vivre leur nom, le scribe Hery-iry, juste-de-voix".

La paroi sous-jacente n'est décorée que dans sa partie nord. Le reste, qui représente environ les 2/3 de la surface, a été aplani, et quelques lignes rouges de carroyage sont focalement encore présentes.
On peut reconnaître deux registres superposés, de même hauteur, celui du bas étant plus large que celui du haut.

1) - Registre supérieur

A- Le couple de droite

À l'extrême droite, un couple était assis sur des fauteuils reposant sur une estrade (). Leurs corps ont disparu au-dessus de la taille, ainsi que le texte qui les accompagnait certainement. Sous le fauteuil, on reconnait encore un vase à onguent. Devant le couple se trouve une table monopodale sur laquelle sont accumulées des offrandes de toutes sortes : pains, oiseaux, morceaux de viande, légumes, fleurs de lotus. Sous la table, on reconnait des cruches hautes et des paniers. La scène suivante va nous apprendre l'identité du couple.

B- Le scribe Hery-iry

Faisant face au couple précédent, nous trouvons un homme qui s'avance, une main tendue, l'autre serrant une pièce d'étoffe. Le lapidaire a modelé une courte perruque, ronde et bouclée, tandis qu'une incision en demi-cercle représente un collier ousekh. Le pagne, également modelé, descend jusqu'à mi-mollet.
Le personnage est entouré par un texte d'offrande invocatoire : "Puisse le roi donner une offrande (à) Râ-Horakhty, Osiris, Celui qui préside aux Occidentaux, Anubis, Seigneur de Ro-Setjaou, et Hathor, Celle qui réside dans la nécropole, de sorte qu’ils accordent une offrande invocatoire (consistant en) pain, bière, bovidés, volailles, (vases d’) albâtre, (pièces de) tissu fin, encens, onguent, toute chose bonne et pure pour le ka de mon père, le précepteur du fils royal charnel, le scribe Itefrouri (= Atefroura), juste-de-voix. Et pour le ka de ma mère, son épouse, la maîtresse de maison, Satamon. C’est leur fils qui fait vivre leur nom, le scribe des contours d’Amon, Hery-iry, juste-de-voix".

2) - Registre inférieur

A- Le second couple

Exactement sous le couple du haut, nous en retrouvons un second assis. Cette fois, l'homme est préservé, ainsi qu'une partie de son épouse. Un texte les accompagne.
Sous les sièges du couple, on reconnaît un vase et un miroir hathorique. L'épouse enserre son mari, le bras droit passé derrière son épaule, l'autre main agrippant son bras gauche. L'homme étend la main droite vers les offrandes placées devant lui. Celles-ci doivent profiter à son ka, matérialisé par la présence du signe hiéroglyphique correspondant placé sur un pavois. La courte phrase qui accompagne cette scène est très claire : "Tendre le bras vers son ka".
Le texte correspondant se lit de gauche à droite, et commence au-dessus des offrandes, au milieu : "le scribe des contours d’Amon, Hery-iry, juste-de-voix. Son épouse, la maîtresse de maison, […]".

B- Paheri

Il ressemble beaucoup à Hery-iry. Le texte d'accompagnement est une offrande invocatoire : "Puisse le roi donner une offrande (à) Osiris, Celui qui préside aux Occidentaux et Nekhbet-la-blanche, de sorte qu’ils accordent une offrande invocatoire (consistant en) pain, bière, bovidés, volailles, (vases d’) albâtre, (pièces de) tissu fin, toute chose bonne et pure pour le ka de mon père et de ma mère. Leur fils, le scribe des contours d’Amon, Paheri."

C- Derrière Paheri

Le registre est subdivisé en deux, chaque partie comportant des enfants de Paheri (, ).

Le sous-registre du haut montre trois fils. Chacun est accroupi, un genou à terre ; sa main gauche se trouve sur sa poitrine, empoignant un sceptre sekhem, sa main droite est tendue vers la petite table d'offrandes en face de lui. Il s'agit de : "Son fils Paheri" ; "Son fils bien-aimé […]-menamon" ; "Son fils bien-aimé Amenmes".

Sur le sous-registre du bas se trouvent trois filles, exactement dans la même attitude. Elles ne se différencient guère de leurs frères que par la longueur de leur perruque et l'ébauche d'un sein. Elles se nomment : "Sa fille, Nebettaouy" ; "[Sa fille, …] ; "[Sa fille, ] Nebou-[…]".

Le mur nord

Il est divisé en deux registres d'inégale hauteur, celui du haut représentant environ 2/3 de la zone décorée. Tous deux sont formés sur le même modèle : un couple récipiendaire est assis à droite avec, devant lui, un fils qui consacre les offrandes et, derrière, d'autres fils et filles des défunts.
La paroi est détruite sur une grande partie du côté gauche, et sur une zone moindre au centre droit.

1) - Registre supérieur

A- Le couple formé par Iahmes et son épouse Ipou

()

Il ressemble en tous points à ceux déjà vus sur la paroi ouest. Sous les sièges se trouve cette fois un singe, animal familier de la maison, en train de manger un fruit pris dans le panier devant lui ().
Au-dessus du couple et de la table d'offrandes qui se trouve devant eux, on peut lire : "Recevoir toute bonne chose par le supérieur des rameurs Iâhmes, fils d’Abana. Son épouse, la maîtresse de maison, Ipou, juste-de-voix.".
On remarque l'absence de frise de khakhérous au-dessus de l'inscription ; le cintre de la paroi n'a pas été décoré.

B- Paheri

()

Il consacre les offrandes à ses grands-parents, en récitant la formule d'offrande invocatoire, ce qui est mentionné devant lui : "Réciter (la formule) “Puisse le roi donner une offrande” par le scribe Paheri". Le contenu de la formule se trouve au-dessus : "Puisse le roi donner une offrande (à) Râ-Horakhty, Nekhbet-la-blanche et Osiris, Seigneur de l’éternité, de sorte qu’ils accordent un millier de pains et bière, un millier de bovidés et volailles, un millier de toute chose bonne et pure pour le ka de Iâhmes, fils d’Abana. C’est le fils de sa fille qui fait vivre son nom, le scribe Paheri".
On voit particulièrement bien le carroyage rouge qui a servi à préparer le décor.

C- Derrière Paheri

()

Le registre se subdivise en deux sous-registres portant des membres de la famille de Paheri, hommes en haut, femmes en bas.

Sous-registre du haut : il débute par le "père de Paheri, juste-de-voix", suivi par trois fils, dont les noms ont disparu ; le dernier n'est représenté que par sa tête à gauche de la grande lacune (). Ils sont assis sur des sièges sans dosserets (les deux premiers sièges sont différents, le troisième a disparu). De la main gauche, ils tiennent un sceptre croisé sur la poitrine, tandis que leur main droite est tendue vers les offrandes déposées sur une petite table devant eux.

Sous-registre du bas : seule persiste la représentation de la première femme, surmontée de ce court texte "Sa mère, Abana, sa fille […]". Elle est accroupie sur une natte, un genou dressé, un sceptre croisé sur la poitrine, la main tendue vers des offrandes devant elle.

2) - Registre inférieur

Il est beaucoup plus abimé encore que celui du dessus. Sur la droite se tient un couple formé de la fille d'Ipou, Kem, épouse du scribe Atefroura, un haut dignitaire thébain qui fut le tuteur du prince royal Ouadjmes. C'est certainement lui qui est représenté ici.
Paheri (son nom est inscrit derrière lui), dont la tête a disparu, consacre les offrandes posées sur et sous la table qui se trouve devant lui, et il récite une formule d'offrande invocatoire dont des bribes sont encore reconnaissables.
Derrière lui, le registre est de nouveau divisé en deux parties, subdivisées chacune en trois carrés contenant, en haut, trois fils de Paheri, et en bas, trois filles () (on suppose que le registre ne se prolongeait pas plus sur la gauche). Le nom du premier fils est perdu, le second est "Son fils, Djehoutyemhat", le troisième "Son fils, qui fait vivre leurs noms, le scribe des contours, Paheri, juste-de-voix". Le nom de la première fille est également perdu, la seconde est "Sa fille, Emheb", et la troisième "Sa fille, Satamon".