Mout était une divinité importante, peut-être mieux connue en tant que déesse consort d'Amon-Rê et mère de Khonsou (formant la Triade Thébaine). Mais avant cela, elle avait un rôle beaucoup plus indépendant, celui de fille du dieu solaire Rê, un rôle superposable à celui de la déesse Hathor. Comme Nekhbet, Wadjet et les autres déesses lionnes (désignées sous le nom de Sekhmet), elle était "l'œil de Rê", qui pouvait être aussi bien inoffensif que dangereux. Sous forme humaine, Mout protégeait le roi et sa fonction. Mais sous forme de Sekhmet, la déesse pouvait détruire l'Égypte si elle n'était pas apaisée. L'importance de cette variante guerrière est attestée par la présence dans l'enceinte de plusieurs centaines de statues de la déesse lionne.

De la XVIIIe dynastie à la période romaine, l'enceinte de Mout a été un centre religieux majeur, mais certaines découvertes suggèrent l'existence d'un temple encore plus ancien. Il s'est agrandi sous le règne du roi koushite Taharqa et a atteint sa taille actuelle au IVe siècle avant J.-C., abritant trois temples majeurs, plusieurs petites chapelles et, finalement, un village sous la protection de ses murs d'enceinte massifs. L'une de ses caractéristiques les plus frappantes est la présence de centaines de statues de Sekhmet. En 1976, le Brooklyn Museum a entrepris la première exploration systématique de l'enceinte. Depuis 2001, le Brooklyn Museum partage le site avec une expédition de l'Université Johns Hopkins.

Le domaine de Mout se situe au sud du grand temple de Karnak, perpendiculairement à l'axe du Xe pylône auquel il était relié dans l'antiquité par un dromos flanqué de chaque côté par des sphinx à têtes de béliers (). L'allée processionnelle qui allait de Louxor vers Karnak obliquait à l'est afin de passer devant l'entrée du domaine de la déesse. Un reposoir de barque de Mout et Khonsou datant de Touthmosis III - Hatchepsout se dressait d'ailleurs à cet endroit. De l'autre côté de l'allée un temple dédié à Amon-Kamoutef.
Cette allée est en cours de restauration ().

Le mur d'enceinte du domaine, élevé par Nectanebo, se présente actuellement comme un talus trapézoïdal de 250×350 m qui circonscrit un domaine où il n'y a qu'une porte d'accès. De celle ci, située au nord, ne reste que la base d'époque ptolémaïque (Ptolémée II et III) avec quelques blocs sculptés ().

Et c'est ainsi que s'offre à la vue les édifices du domaine de Mout, probablement somptueux autrefois, et qui sont maintenant à peine reconnaissable par quelques excroissances de terrain. On a du mal à imaginer que cette enceinte contenait au moins six sanctuaires.

Immédiatement dans l'axe de l'entrée, on voit les restes au sol de la petite allée édifiée par Taharqa (XXVe Dynastie), qui conduit à l'entrée proprement dite du temple de la déesse Mout ().
A partir d'une probable base du Moyen Empire, un édifice plus imposant est édifié à la XVIIIème Dynastie (par Hatshepsout ?). C'est Amenhotep III (Aménophis) qui reconstruira en grès ce temple de Mout. Il le garnira de centaines (on pense 720 ou 730, une pour chaque jour de l'année, matin et soir) de statues de la déesse Mout sous sa forme léonine de Sekhmet (, ). Plus tard Ramses II restaurera l'édifice.


Entrons !
Après avoir jeté un regard à gauche de la porte de l'enceinte sur un colosse à terre, pathétiquement brisé (), on découvre les restes d'une grande stèle en calcite ("albâtre" égyptien) de Ramses II sur laquelle est rapporté son mariage avec une princesse Hittite (, , )
On franchit tout d'abord un pylône. Dans l'épaisseur de la porte, une représentation du dieu Bès ().
On entre alors dans une première cour (, , ) centrée par une colonnade également d'époque Kouchite, dont toutes les faces étaient précédées de statues de Sekhmet (, , ).
La seconde cour est dans l'enfilade de la première, avec une porte réduite quasiment à rien actuellement. Cette seconde cour, plus petite que la première, comportait à sa périphérie des colonnes à section carrée. Derrière celles ci, contre le mur, de nouveaux de nombreuses Sekhmet et devant elles (du moins devant certaines) des statues de pharaons assis (, , , , ).

L'une des Sekhmet porte sur la tête une sorte de mortier rond constitué d'uraei côte à côtes (, ). On remarquera d'ailleurs la variation des couvre-chefs de la déesse d'une statue à l'autre.
Cette statue très particulière porte également les cartouches d'un pharaon que j'identifie comme Sheshonq I (Meryimen) / Hedjkhepere-Setepenre (, , , ). Elle date donc de (ou a été usurpée à) la XXIIème Dynastie dite Libyenne, et plus précisément des années 945 - 924 BC.

D'autres exemplaires de la déesse sont encore en bon état, avec parfois le séma-taouy représenté sur le siège cubique bas archaïque (, ), ou une autre coiffée du disque solaire (, ). Elles incarnent le triple aspect Mout - Sekhmet - Œil de Ré que pouvait prendre la déesse.
On entre ensuite (entrer est un bien grand mot car il n'y a presque plus rien debout) dans les parties les plus intimes du temple. On y découvre les restes d'une stèle dont le cintre portait des figurations de la triade thébaines Amon, Mout et Khonsou (, ). Admirons aussi ce qui reste d'un groupe de babouins en adoration devant le soleil levant ().
A la périphérie du mur externe du sanctuaire, encore des statues alignées de Sekhmet (, , , ).

On arrive ainsi au lac sacré (Asherou) en forme de fer à cheval qui entoure le temple sur trois côtés (, ). Pour la petite histoire, il contient des poissons et certains y pêchent…
De l'autre côté du lac, vers l'ouest, on trouve les restes du temple de Ramses III (, , ). Très détruit, on y retrouvé mention des campagnes militaires du roi au Proche-Orient. Il est précédé de deux colosses acéphales.

En nous retournant, l'arasement des parois permet de voir l'une derrière l'autre la seconde et la première cour, ainsi que des bases de colonnes variées (, , ).


Allons maintenant dans la zone du temple d'Aménophis III dont ce qui reste du pylône indique l'entrée (). Ce temple est placé à l'angle nord-est de l'enceinte, et il était dédié à Amon-Ré. Il est très mal étudié à ce jour.
Quelques sphinx cryocéphales rappellent le dieu Amon auquel était destiné l'édifice (, )

D'emblée, l'œil est attiré par deux colosses osiriaques. Le premier, en piteux état, est encore à moitié enfoui (). Le second est intéressant (). Approchons nous () et nous pouvons déchiffrer les cartouches (). Et l'on s'aperçoit immédiatement qu'ils ont été surchargés.
A l'origine, le pharaon était Djehoutymes / Menkheperouré, donc Thoutmosis IV (1386-1349 BC). Dans la surcharge du cartouche du haut () on reconnaît une image de Maat et de Ré, ce qui semble indiquer Nebmaatré / Amenhotep III, mais la disposition ne va pas, et le second cartouche () reste pour moi un mystère (appel aux bonnes volontés !).
On peut cependant être sûr que cet édifice date, contrairement à ce qui est avancé, d'avant Amenhotep III.

Il fut également agrandi ou restauré par Nectanebo I (380 - 362 BC) puisque ses cartouches apparaissent sur un reste d'architrave : Nakhtnebef / Kheperkare ().
Par contre je ne sais pas qui sort à moitié de terre sur ces deux photos ( et ).

Une fois le pylône passé, on voit les arasements des pièces suivantes.
Après une cour à colonnades, on voit les restes de la salle hypostyle () avec ses bases de fûts cannelés et on approche des pièces du fond, le Saint des Saints (, , ).
On retrouve à terre des représentations diverses, parfois avec des reliefs colorés (, ), des groupes de dieux (, , ), une assez rare effigie d'Anubis (), une autre de Mout sous sa forme de vautour (), etc…
Une scène célèbre: celle d'une circoncision ().

La dernière pièce au fond et à gauche (), quoique de petite taille, comportait deux colonnes encore bien visibles ().

Bon, les gardiens s'impatientent… Un bon bakchich et tout le monde est content.

Il ne reste plus qu'à sortir du temple et à se diriger par le dromos de Mout vers le Xème pylône de Karnak ().