Cet article bref n'a pas pour but d'exposer tous les aspects de la Chapelle Rouge d'Hatchepsout, mais de vous proposer un panorama photographique du monument remonté dans le Musée en plein air de Karnak.

Maât-Ka-Re Hatchepsout (XVIIIème dynastie, vers 1479-1457 av. J.-C.) est la fille de Aa-kheper-ka-Re Thoutmosis I, et l'épouse de Aa-kheper-en-Re Thoutmosis II.

Elle est la troisième femme de l'histoire égyptienne à monter sur le trône de Pharaon, non sans que cela soulève des problèmes successoraux et politiques, que nous n'aborderons pas ici, mais qui furent à l'origine d'une "damnatio memoriae" qui devait la poursuivre jusqu'à ne pas figurer sur la liste royale d'Abydos.
Quoi qu'il en soit, la reine Hatchepsout fut un grand souverain bâtisseur, qui fit preuve d'une originalité hors du commun. Le temple de Deir el-Bahari en est l'exemple le plus spectaculaire, mais on peut aussi noter la syringe au plan novateur creusée dans la Vallée des Rois (et il est vraisemblable qu'Hatchepsout fut le premier souverain égyptien à être inhumé dans cette Vallée).

La Chapelle Rouge fait partie de ces édifices hors du commun : original dans la conception, il est unique dans la réalisation puisqu'il s'agit du premier "préfabriqué" en pierre de l'histoire. Depuis peu, la Chapelle Rouge a été remontée par les soins du Centre Franco-Égyptien d'Étude des Temples de Karnak (CFEETK) par anastylose à partir d'environ 300 blocs pour l'essentiel sortis du bourrage du 3ème pylône d'Amenhotep III et qui étaient jusqu'à présent conservés sous forme éparse dans le Musée en Plein Air du temple.
Cette reconstitution a permis de résoudre certaines des questions qu'avait soulevé le monument. En particulier, il est maintenant certain que la Chapelle Rouge a bien été érigée dans l'antiquité.

Hatchepsout commence la réalisation de l'édifice à la fin de son règne (entre l'an 17 et 20). La "set-ib-Imen" (lit : "Place du cœur d'Amon", ou moins correctement "Place favorite d'Amon") est destinée à servir de reposoir pour la barque sacrée du Dieu dynastique et tutélaire de Thèbes. Elle sera achevée et montée, légèrement modifiée, par son successeur et neveu Thoutmosis III. Celui-ci la fera ultérieurement démanteler pour poursuivre son propre programme architectural.

POURQUOI LA CHAPELLE ROUGE ?

La Chapelle Rouge était destinée à remplacer un édifice datant d'Amenhotep I, la Chapelle d'Albâtre ().
Sa construction entre dans le cadre d'un vaste programme politique de la reine-Pharaon, essentiellement axé sur son souci de légitimation.
Hatchepsout procède à l'occupation progressive des principaux emplacements de Karnak : aménagement au cœur du temple de chapelles d'offrandes, aménagement des extrémités Ouest et Sud du temple, et édification de la Chapelle Rouge. Le siège initial de la construction reste débattu, mais il s'agit probablement de la Cour des Fêtes de Thoutmosis II, entre les deux obélisques qu'Hatchepsout avait fait ériger à cet endroit, en avant de l'ensemble des salles appelé "Le Palais de Maât". D'autres hypothèses sur la situation de la Chapelle rouge sur le .

ARCHITECTURE

La reconstitution a nécessité la collaboration de plusieurs spécialistes : architectes, tailleurs de pierres, dessinateurs, épigraphistes, photographes … car la compréhension du monument restait difficile. Ainsi par exemple, la décoration des blocs était peu contributive, car elle ne chevauche presque jamais les joints verticaux, et jamais les joints horizontaux.
Le remontage s'est donc effectué surtout grâce à l'étude des encoches de leviers et des queues d'aronde destinés à l'assemblage et à la manipulation des blocs ().

Heureusement, les parois comportaient un fruit qui a permis de séparer les éléments des parements intérieurs et extérieurs.
La Chapelle Rouge est construite à l'aide de blocs de quartzite rouge (provenant du Djebel Akhmar, la "montagne rouge", qui se trouve près d'Héliopolis) et de diorite grise ().

L'édifice a été entièrement prémonté au sol. Il est intéressant de noter que ce procédé ne sera plus repris ultérieurement en Égypte, sans que l'on sache vraiment pourquoi. Peut-être n'a-t-on pas voulu bloquer d'une des parties les plus sacrées et les plus fonctionnelles du temple pendant une longue durée à cause des travaux.

La Chapelle a la forme d'un rectangle de 17,30 x 6,30 mètres ( et vue ).
En voici diverses vues internes et latérales: , , La façade du vestibule est haute de 7,70 mètres, tandis que celle du sanctuaire ne fait que 5,77 mètres. Elle contient trois portes de même dimension et installées au même niveau. Voyez les vues latérale externes Nord ( et ) et Sud () ; la façade frontale () ; l'intérieur (, , ).
La chapelle n'était pas couverte.

Son dallage est parfaitement jointif, sauf autour des blocs centraux, qui sont aussi entourés par une rigole. L'ensemble central était donc clairement destiné à recevoir l'eau de lustration utilisée lors des cérémonies rituelles ().
Au centre du vestibule trône une cuve en diorite, actuellement excavée (), mais qui était probablement un bloc plein à l'origine, destiné à servir de support à la Barque Sacrée.
A partir du vestibule, il faut descendre un marche de 20 centimètres pour entre dans le sanctuaire (qui est donc légèrement en contrebas), et il faudra remonter une marche semblable à l'autre extrémité pour accéder au seuil de la porte arrière du sanctuaire. La séparation est matérialisée par une avancée du mur interne ()

LE DÉCOR

Il est particulièrement riche, et souligné par la trichromie utilisée (, ). On observe en effet l'association du gris-noir de la diorite, d'un ocre-rouge qui recouvrait la quartzite afin de l'uniformiser, et d'un jaune d'or dans les creux de gravure. En effet, et même si cela peut étonner, tous les blocs de quartzite rouge étaient peints de ce jaune, ce qui permettait d'uniformiser la couleur de la roche en masquant ses veinures, et de concentrer l'attention sur les représentations. La disparition de la peinture montre effectivement la difficulté qu'aurait présentée la lecture () Chaque scène occupe le parement d'un seul bloc, qui représente donc une unité décorative (, ). Il est probable que la décoration n'a pas été faite en atelier en raison des risques à abîmer les bloc s ultérieurement pendant leur manipulation, mais un montage en registres horizontaux a pu permettre aux sculpteurs de travailler avant que le montage de la chapelle ne soit achevé.

1er registre

En diorite, il figure un mur d'enceinte à redans. Il est décoré d'une procession de femmes et d'hommes androgynes, ou gras et au sein tombant (des "Dieux-Nils"), symbole de prospérité (, ). Ces entités sont identifiées par un nom au dessus de leurs têtes : noms des nomes (divisions administratives), noms de fondations royales thébaines, noms de certaines entités géographiques ("La Haute Égypte"). Ainsi, toute l'Égypte vient offrir ses productions à Amon. A l'intérieur, une frise de laitues évoque le jardin d'Amon-Min

2ème registre

On trouve la scène de l'intronisation d'Hatchepsout. Ainsi sont figurés l'entrée de la reine dans le temple, l'oracle d'Amon confirmant le choix divin d'Hatchepsout comme souveraine du Double-Pays, et le serment d'intronisation. Elle se fait couronner puis pose la première brique de l'édifice. ()

3ème registre

Au sud, représentation de la fête d'Opet, avec son évènement principal : le transport de la barque sacrée d'Amon (la barque "Ouserhat") depuis le temple de Karnak jusqu'à celui de Louxor. Au nord, c'est la Belle Fête de la Vallée qui est illustrée, avec le transfert de la barque d'Amon jusqu'au Temple-des-millions-d'années de la reine à Deir-el-Bahari ()

4ème registre

On trouve des scènes d'offrande aux divinités, notamment à Amon, à Amon-Min (, , , et à l'Ennéade ainsi que la consécration des obélisques qu'Hatchepsout avaient fait ériger dans la Ouadjyt, entre le 4ème et le 5ème pylône (). La consécration du sanctuaire et l'intronisation de la reine recevant différentes couronnes complètent ce programme iconographique ().

5ème registre

C'est le retour de la barque sacrée Ouserhat lors de la Fête d'Opet qui est représentée. Le retour de la barque lors de la Belle Fête de la Vallée lui fait pendant ().

LA FONCTION DE LA CHAPELLE ROUGE

Reposoir situé à l'intérieur du temple de la divinité, la Chapelle Rouge a pour vocation première d'abriter la barque d'Amon. Celle ci transporte une statue mobile du Dieu soit vers sa barque sacrée de transport fluvial (la barque "Ouserhat"), soit vers un autre reposoir extérieur au temple.
L'accès aux reposoirs intérieurs du temple était réservé aux seuls prêtres qui y accomplissaient toute une série de rites sur la statue divine. Au contraire, à l'extérieur du temenos (enceinte) du temple, les reposoirs faisaient partie du parcours public du Dieu, dont la sortie processionnelle en grande pompe lors des principales fêtes comme la fête d'Opet, ou la Belle fête de la Vallée représentait un des temps forts de la liturgie thébaine et se faisait dans la liesse générale.

CONCLUSION

Hatchepsout a choisi de mêler intimement les aspects divins et politiques dans la Chapelle Rouge. C'est ainsi que l'évocation des fêtes solennelles d'Amon (fête d'Opet, Belle fête de la Vallée) est intimement mêlée à la mise en scène du cheminement progressif d'Hatchepsout vers son couronnement () qui occupe les assises les plus élevées. Des problèmes de légitimité sont manifestement à l'origine de la décision d'entreprendre l'édifice et dans le choix du programme décoratif.

Hatchepsout montrait ainsi sa dévotion au dieu dynastique, Amon, et le remerciait de l'avoir expressément désignée et, pourrait on dire adoubée, comme Pharaon légitime devant tout le peuple. C'est ainsi qu'il faut comprendre la frise de rekhyt de la 4ème assise du vestibule (). Elle représente en fait un véritable texte, à lire: "Adoration de la part de tous les Humains".