Le complexe des mastabas G7530 - 7540
et la chapelle G7530sub de la reine Meresankh III

Alors que les pyramides et le Sphinx sont de loin les monuments les plus connus de Guiza, la zone abrite également une énorme nécropole privée, véritable petite ville, composée de mastabas ou de tombes rupestres appartenant à des dignitaires de la IVe dynastie. Hélas, très peu sont ouvertes à la visite, mais en ce mois de Mars 2012, le SCA annonce que la tombe de Meresankh III, fermée jusqu’à présent sauf à disposer d’une autorisation spéciale, va être ouverte au public. La tombe se trouve dans le cimetière de l'est, et présente un intérêt historique et artistique considérable, d'autant que c'est une des mieux préservées de tout le site.

Petite-fille de Kheops (ou Khoufou, 2600 - 2555 av. J.-C. environ), épouse de Khephren (ou Khafrê, 2548 - 2522 environ), la sépulture de la reine illustre l'importance des fils et filles royaux dans cette Égypte de la IVe dynastie, époque de l'apogée de l'Ancien Empire, qui voit l'art de la sculpture et de la peinture atteindre un extrême raffinement.
L'évolution culturelle de l'État et de la société est grandement inspirée par l'ascension du dieu solaire créateur Rê qui, à partir de ce moment, occupera une place prépondérante dans la religion, l'éthique et l'idée de l'État dans l'Égypte pharaonique. En témoigne la première apparition dans la titulature royale du nom de "fils de Rê" chez les fils de Khéops.

La nécropole de Kheops

À l'est et à l'ouest de la grande pyramide de Kheops et des trois pyramides de ses reines se trouvent deux importantes nécropoles privées composées de centaines de mastabas disposés géométriquement en rangées parallèles, délimitant de véritables rues de mastabas () strictement hiérarchisés, comme l'était la cour. Ces cimetières fonctionneront jusqu'à la fin de l'Ancien Empire.
Il s'agissait de créer une ville des kas vivants reproduisant l'entourage royal dans l'au-delà. Le ka du roi, en sortant de sa pyramide, était ainsi à même de rencontrer les kas de ses parents et serviteurs, comme il le faisait sur terre.

Le cimetière de l'ouest : utilisé depuis la première partie du règne de Khéops, il est destiné à de hauts fonctionnaires.
Le cimetière de l'est : son occupation débute tard dans le règne de Khéops, sous forme de mastabas ou de tombes rupestres. Il est destiné à des membres de la famille royale essentiellement, ainsi qu'à de très hauts dignitaires (c'étaient souvent les mêmes à l'époque). Au plus près de la pyramide, on trouve huit grands mastabas doubles pour les enfants de Khéops.
Très bien ordonné ("en échelon"), ce cimetière est se prolongera plus tard par un autre plus au sud (GIS sud).
Depuis Reisner, les tombes constituant ces cimetières portent un numéro à quatre chiffres précédé par la lettre G, le premier de ces quatre chiffres indiquant la rangée.

Les ouvriers travaillant sur les chantiers des pyramides et dans ces villes de mastabas à la IVe dynastie étaient installés au sud d'un mur massif (dit "mur des corbeaux") qui les séparait de la nécropole royale ; ils avaient leur propre cimetière, distinct de celui des nobles.

Le personnage

Le nom de la reine est retranscrit quelquefois Mersyankh, "le Vivant l'aime", néanmoins, la lecture Meresankh, "elle aime la vie", est retenue pratiquement partout.

Son père est le prince Kaouab, fils aîné de Khéops par la reine Merytytes I, à qui on attribue le mastaba G7110 + 20.

Sa mère est Hetepheres II, une fille de Khéops, qui a donc épousé son frère biologique. On connait quatre enfants au couple : Douaenhor, Kaemsekhem, Mindjedef et notre Meresankh. Kaouab aurait dû succéder à Khéops, mais meurt avant lui. Hétéphéres II devient reine en se remariant alors avec son demi-frère Djedefrê qui monte sur le trône à la mort de Khéops. Après seulement huit ans de règne, il meurt sans héritier, et le pouvoir passe alors à un autre fils de Khéops, Kephren. La transmission du pouvoir semble s'être faite sans problème.
Hetepheres II devait être un personnage de premier plan, à laquelle sa fille doit probablement tout, d'où son omniprésence dans la chapelle de cette dernière.

Meresankh III épouse plus tard son oncle Kephren, frère biologique de son père Kaouab, dont elle a plusieurs enfants : Shepsetkaou (une fille), Noubhotep, Douaenrê, Nyouserrê et Khenterka. Certains sont nommés dans la chapelle. Meresankh n'a donc pas enfanté l'héritier du trône et il faut avouer qu'on ne comprend pas bien pourquoi lui sont accordés des privilèges majeurs : par exemple, seule de toutes les épouses royales, elle est représentée assise sur un siège où un lion est gravé, une prérogative royale.
Elle se proclame "fille du roi, de son corps, épouse du roi" () ; la précision "de son corps" indique une filiation biologique, alors que le titre "fille du roi" peut, rarement, être seulement honorifique. Il est probable que Meresankh III a, à un moment ou à un autre, joué un rôle dans la transmission du pouvoir, mais on ignore lequel.

La découverte de la tombe

Elle a eu lieu le 23 avril 1927 et voici le récit qu’en fait Reisner dans le "Bulletin of the Museum of Fine Arts" d’octobre 1927 :
"Le dernier jour de la saison, des équipes d’ouvriers nettoyaient la face orientale du troisième mastaba de la cinquième ligne de l'ouest, quand une porte apparut de manière inattendue dans la roche sous le mur oriental de ce mastaba. Plus tard, nous avons constaté que deux escaliers descendaient de l'étage de la rue au niveau de la porte, qui était environ deux mètres au-dessous. Au-dessus de la porte étaient inscrits les titres d'une princesse et reine nommée Meresankh. Dès que les débris devant la porte furent photographiés, nous éliminâmes suffisamment de sable au sommet pour ramper dans l’ouverture ; et passant nos têtes, un par un, juste à l'intérieur de la porte, nous avons vu une chapelle taillée dans le roc, composée de trois salles. L'entrée de la salle principale était bloquée par un cône de sable et de pierre, sur le sommet duquel nous étions couchés (). Nos yeux ont d'abord été surpris par les couleurs vives des reliefs et des inscriptions dans la partie nord de cette grande enceinte. Aucun de nous n'avait jamais rien vu de tel".

Le monument

Il se trouve dans la septième rangée du cimetière de l'est et se compose d'un mastaba de surface, d'une chapelle rupestre comportant trois pièces et d'une chambre funéraire à laquelle on accède par un puits (, ). Des graffiti de maçons indiquent que la chapelle fut creusée en l'an 13 d'un roi qui n'est pas nommé, mais qui ne peut être que Kephren ; le mastaba de surface, forcément antérieur, date probablement de l'an 1 à 5 du même souverain (Reisner).

1) - Au départ, il s'agit d'un mastaba double, G 7530 + 40

Il était probablement destiné à Hetepheres II et fut édifié sous le règne de Khéphren. Il est accolé à G7520, qu'il prolonge vers le sud, semblant former une unité. Il est très ruiné actuellement (vue latérale côté est ci-contre ; vue du dessus : ). Il mesure 47,50m nord-sud et 16,88m est-ouest et ne comporte pas de puits funéraire.
Sur sa face est, une chapelle en blocs de calcaire fin mesurant 4,75 × 1,50m était aménagée dans la maçonnerie de surface ; elle comportait, côté ouest, une profonde niche à décor en façade de palais.
Dunham et Simpson parlent aussi d'une chapelle extérieure en pierres, inachevée, partant de l'angle sud-est vers le nord sur une longueur d'au moins 14,75m et une largeur de 3,80m. Les explications et le plan qu'ils produisent sont cependant confus, et nous n'avons pas réussi à comprendre sur le terrain ce qu'ils ont voulu décrire, à moins que le monument n'ait été détruit ou déplacé entre temps.

2) - Dans un second temps, la chapelle rupestre G 7530sub a été creusée et décorée sous sa partie nord pour sa fille Meresankh, décédée avant elle
On le sait par l'ajout d'une inscription à la décoration existante et aux inscriptions sur le sarcophage, qui stipulent que celui-ci lui a été donné par sa mère, Hetepheres II. Cette dernière n'a jamais utilisé ce complexe, et Reisner pense qu'elle a été enterrée dans le mastaba G7350.
Deux escaliers ont été creusés dans la rue séparant le mastaba de Meresankh de G7650, un au nord, l'autre au sud, amenant sous les premières assises des constructions, dans le sous-sol rocheux.

3) - Cette chapelle souterraine est intéressante à plus d'un titre

Elle a servi lors de l’inhumation de la reine - et probablement après, car elle est longtemps restée accessible - à déposer des offrandes ainsi qu'à diverses cérémonies, notamment le rituel d'ouverture de la bouche qui apparaît vers cette époque. À l'origine, il a pour but d’animer une statue royale ou divine. Il sera ensuite pratiqué sur tout ce qui peut recevoir une présence divine, puis sera aussi utilisé pour les défunts. À l’Ancien Empire, le rituel est effectué sur les statues du défunt et non directement sur la momie où sur son cercueil, comme ce sera le cas au Nouvel Empire. Ceci explique peut-être la profusion de statues dans la chapelle.

C'est une des mieux conservées, et certainement une des plus belles de la nécropole de Guiza. La réalisation technique et le talent des sculpteurs et peintres montrent un haut degré de maîtrise et, fait très rare, deux des artisans sont nommés dans le monument.

Son positionnement par rapport au mastaba sus-jacent est unique. Habituellement, les chapelles se trouvent au même niveau que lui, soit sur sa face externe, soit inclus dans la maçonnerie.

Il existe seize statues taillées dans les murs, nombre inhabituel ; parmi celles-ci, les dix statues de femmes de la paroi nord témoignent de l'importance accordée aux femmes de la famille royale.

Le programme iconographique de la chapelle est en grande partie sans précédent (connu) ; il a inspiré les générations suivantes : certaines scènes vont en effet devenir des classiques et figureront en bonne place dans les programmes décoratifs de nombreux monuments funéraires égyptiens, jusqu’à l’époque ptolémaïque.

Les abords de la chapelle

L’accès à la tombe de Meresankh III se fait à partir d'une petite cour ouverte, de 3 × 2,40m située 2m plus bas que le sol de la rue G7500 (). On y accède par des escaliers descendant du sud et du nord. L'escalier sud, bien conservé () comporte cinq marches légèrement en pente. L'escalier nord part de plus haut et comporte une vingtaine de marches (). À l'extrémité sud de cette cour () subsiste une partie d’un compartiment rectangulaire, peut-être un serdab ayant contenu la belle statuette de Hetepheres et Meresankh (nous en parlerons p.4).
À l'extrémité nord se trouve une toute petite pièce formant un appendice terminé par une fausse porte ( et ).

Flanquant la porte de la chapelle deux pilastres monolithiques de calcaire ont été dressés afin de supporter une architrave aujourd'hui disparue. Ces piliers, ainsi que le linteau surmontant la porte et deux blocs à l'intérieur, sont les seuls éléments de la chapelle à ne pas avoir été taillés directement dans le roc.
Un auvent protecteur surplombe actuellement l'entrée, occupant la place de l'architrave disparue. Il est donc impossible de photographier avec du recul les inscriptions de la façade, et il faut se reporter à l'image de Reisner ().

La façade

( et ) Elle présente un fruit marqué, bien visible de profil. De manière très inhabituelle, de part et d'autre de l'entrée les inscriptions rapportent uniquement les dates de décès et d'enterrement de Meresankh.

1) - Les montants

Côté nord (à droite)

( et )

"la fille du roi, Meresankh, l'an 1, mois 1 de Chémou, jour 21. Son ka se repose ; elle est venue à la maison de purification" La reine est donc morte, et a été transportée dans l'édifice d'embaumement.

Côté sud (à gauche)

()

"L'épouse royale, Meresankh. Année après 1 (= année 2), second mois de la saison Péret, jour 18. Sa venue à son beau tombeau".
Le temps écoulé entre la date de la mort et celle de l'inhumation est ainsi de 273 ou 274 jours, soit nettement plus que les soixante-dix jours censés être traditionnellement consacrés à la momification. Un mystère de plus. Reisner place ces dates dans les années 1 et 2 du règne de Shepseskaf (dernier souverain de la IVe dynastie, 2503 - 2498 environ), tandis que Derry, se basant sur l'âge présumé du squelette, pense que le roi en question était Mykérinos (père de Shepseskaf). En tout cas, nous sommes tout à la fin de la IVe dynastie.

2) - Le linteau

()

"Celle qui voit Horus - Seth, la grande favorite de Celui des Deux Maîtresses (Nebty), la suivante d'Horus, celle qui est grandement louée, l'aimée de Thot et d'Horus, sa compagne, la fille du roi, de son corps, l'épouse du roi, Meresankh".

Le Nebty ou Celui des Deux Maîtresses se rapporte aux deux déesses tutélaires de Basse et de Haute Égypte, respectivement la déesse cobra Ouadjyt, de Bouto dans le Delta, et la déesse vautour Nekhbet de Nekheb (el Kab). Il s'agit donc de rendre hommage à celui qui unifie les Deux Terres sous son autorité.

Le mythe d'Horus et Seth à la IVe dynastie

Le titre "Celle qui voit Horus-Seth", ou "Horus et Seth" est régulièrement porté par les reines de la IVe à la VIe dynastie, qui considèrent ainsi leur époux comme celui qui réunit et réconcilie les antagonistes dans le Double Pays. Comme c'est le cas ici, ce titre est la plupart du temps associé à une référence horienne, pour marquer la prédominance d'Horus sur Seth.
Comme le résume Gauthier : "Voir le roi, c'est-à-dire être admise à contempler sans témoin sa beauté et à adorer dans l'intimité sa divinité, était un privilège unique, réservé à la seule épouse du pharaon-dieu, à la reine".

L'entrée

Sa longueur est d'environ 1,65m et sa largeur, d'abord de 0,85m, s'élargit après le rouleau à 1,30m pour abriter la porte d'accès en bois.

1) - Le rouleau

()

Rappelons qu'il est calqué sur la tenture qui servait à fermer les ouvertures dans les maisons des vivants. Le texte dit : "Celle qui voit Horus - Seth, la grande favorite, l'épouse royale, Meresankh".

2) - Paroi nord

()

Le panneau est divisé en deux parties : Anubis en haut, la reine en bas, qui font tous deux face à l'est. Du fait de la nature de la roche, elle a été plâtrée, et le décor incisé dans le plâtre.

a) - Anubis

Il est représenté sous forme d'un canidé couché, portant autour du cou une pièce de tissu en écharpe. Il est accompagné d'une légende au-dessus et en dessous de lui : "Une offrande que donne le roi, et Anubis, qui est à la tête du pavillon divin à un esprit-akh, qui est noble devant le regard du grand dieu, maître du désert". Cette dernière épithète désigne Anubis lui-même.

b) - La reine

Elle est désignée comme "Celle qui voit Horus - Seth, la fille du roi, la grande de louanges, l'épouse royale, Meresankh". Elle est coiffée d'une grande perruque tripartite et porte une robe moulante à bretelles, mais aucun bijou. Sa main droite pend le long de sa cuisse, tandis que la gauche est repliée sur la poitrine.
Devant elle, le "prêtre funéraire Rery" pousse une hyène (). On reste toujours perplexe sur l'usage réel que les Égyptiens faisaient de ce puant animal car on n'ose pas penser qu'ils en mangeaient… En dessous, un homme tire un Ibex mâle ().
Derrière la reine se tiennent deux femmes. L'une porte sur la tête un coffre, tandis que l'autre s'approche tenant dans une main et sur l'épaule un grand éventail ou pare-soleil, et de l'autre un autre modèle plus petit ().

3) - Paroi sud

().

Nous retrouvons la même division de la paroi en deux parties.

a) - Anubis

Il est représenté à l'identique (). Il est accompagné de la légende : "Offrande que donne le roi, et Anubis qui est dans ses bandelettes, le seigneur de la Terre Sacrée (Ta-djeser = la nécropole), à un esprit-akh, qui est noble devant le grand dieu, maître de Ta-djeser".

b) - La reine

().

Robe et coiffure sont identiques, mais cette fois Meresankh porte un tour de cou et un collier sur la poitrine. D'un geste délicat, elle tient la tige d'un lotus dont la fleur, symbole de renaissance, est largement ouverte devant ses narines. Elle est désignée comme : "Celle qui voit Horus - Seth, la grande favorite, la compagne d'Horus, qui l'aime, la suivante d'Horus, l'épouse royale, la fille du roi, Meresankh".

Derrière elle se tient un femme portant d'une main un oiseau, et tenant de l'autre un coffre en équilibre sur sa tête. En dessous, une seconde femme s'avance, tenant d'une main un coffre, et de l'autre un éventail à main.

Devant elle se tient un personnage officiel () : ) : "Le prêtre pur royal, pensionné auprès de son seigneur, Khemet[nou]". Il est vêtu d'un pagne et d'une courte perruque ; il tient devant lui un papyrus déroulé (plus vraisemblable qu'une tablette, malgré la rigidité de le représentation) avec la légende suivante : "Présenter le document des prêtres funéraires pour inspection, par le supérieur des prêtres funéraires, Khemetnou". Il s'agit d'une des premières scènes de ce type connues. Dans les cas rares où le papyrus est détaillé, on peut y trouver une liste d'offrandes invocatoires, d'offrandes redisribuées, des listes de parfums, des états de services des prêtres funéraires, une énumération des domaines funéraires, un recensement de bétail…
Ainsi, dès l'entrée, le visiteur, l'officiant et la reine défunte peuvent être assurés que le service funéraire a été, est et continuera éternellement à être rendu.