Dans les premières années du règne de Teti, premier roi de la VIème Dynastie (env 2321-2290 av. JC), un fonctionnaire dénommé Kagemni-Memi fut nommé Ministre de la justice et Vizir, le plus haut poste de l'administration égyptienne.
Teti avait d'excellentes raisons de faire confiance à son nouveau vizir, puisqu'il s'agissait de son beau-frère par son mariage avec "La fille du roi, son aimée, [issue] de son corps, Nebty-nebou-khet" .
Grâce à sa nouvelle position et à sa proximité du roi, Kagemni fut à même d'organiser dans la nécropole de Saqqara la construction d'une somptueuse tombe pour lui-même, située à proximité de la pyramide de son roi. Pour cela, il a pu disposer des meilleurs ateliers et ouvriers du pays, ce qui explique la qualité extraordinaire des décors qui ornent les murs de son mastaba.

Le monument se situe au Nord de la pyramide du pharaon Téti, et au Nord-Est de la pyramide à degrés de Djoser (IIIème Dynastie). Il témoigne de la puissance atteinte par les plus hauts fonctionnaires à une époque où le déclin de l'autorité royale commence. Cette décadence sera encore plus marquée à la génération suivante, comme en témoignera le magnifique mastaba du successeur de Kagemni, .

Le mastaba fut découvert en 1843 par Richard Lepsius. Il a fallu attendre 1905 pour que von Bissing commence sa publication des salles IV à VIII, qui sera achevée en 1911. Si Firth refouille le monument dans les années 1925, il ne publie pas un compte rendu détaillé des salles I à III qui restent donc non publiées (universitairement) à ce jour.

Le personnage

Il porte deux noms : soit Ka-gem-n (j), transcrit par Kagemni et soit M-m-j, transcrit par Memi.

Les titres que l'on retrouve dispersés dans la tombe sont d'environ 50, dont certains restent de signification imprécise, probablement purement honorifiques, tandis que d'autres correspondent à des fonctions effectives.

Sur la façade du mastaba, on trouve déjà une longue biographie du très grand personnage qu'était à son époque Kagemni ( et voir texte plus bas).
On voit ainsi que sa brillante carrière commence sous le roi lsési. Puis pendant le règne du pharaon Ounas (dernier pharaon de Ve dynastie), il est promu au rang de juge et de nomarque, fonction nouvellement créée.
Puis c'est l'apothéose à la VIème dynastie sous le roi Téti, puisque Kagemni devient Vizir et Ministre de la Justice du pays.

Parmi ses autres fonctions, on en remarque plusieurs qui ont rapport avec le culte du roi Teti dans sa pyramide, avec peut-être aussi des fonctions de surveillance de la construction de l'édifice. Il était également inspecteur de la ville de la pyramide "Les-places-de-Téti-sont-stables". A ce titre il devait gérer l'attribution des concessions funéraires attribuées par le roi, incluant la sienne propre.
Une page spéciale est consacrée aux .

Kagemni est également célèbre du point de vue littéraire. En effet, le fameux ''Enseignement pour Kagemni", célèbre texte didactique qu'on a coutume de dater de la VIe dynastie semble bien le concerner, même s'il fait référence à un vizir ayant servi le roi Snefrou (c'est à dire le père de Khéops) à la IVème Dynastie. Vous trouverez le texte hiéroglyphique, une traduction en Allemand , une traduction anglaise et une traduction française sur le site .

Le prestige dont jouissait Kagemni lui-même devait être immense à son époque et on a trouvé des traces d'un culte à sa personne près de sa tombe.

La famille de Kagemni reste difficile à cerner. Son épouse Nebty-neb-khet (alias Sesheshet) est bien identifiée : il s'agit de la propre fille du roi Teti. Peut-être n'était-ce pas sa seule épouse.
Par contre, il y a une certaine confusion au niveau de la descendance, certains personnages n'étant pas nommés. Seul le fils aîné, Teti-Ankh, est cité formellement. Nul doute que ce nom lui a été donné par son père pour marquer sa reconnaissance et son attachement à ce roi qui lui a permis une telle ascension.

Plan, généralités

Le tombeau est de type mastaba et présente une forme en "L", de 32mètres de grand côté, le grand bras du L est orienté Est-Ouest, le petit bras Sud-Nord.
Le plan ci-contre donne une bonne idée de la complexité de ce vaste édifice dont certaines salles sont encore non publiées.
Le mastaba a été réalisé en calcaire, calcaire local pour la première assise et pour la porte et ses jambages, calcaire blanc de Tourah pour le reste et notamment le parement externe. La face externe de l'édifice devait présenter un blanc brillant quand le calcaire n'avait pas encore été abîmé par le temps. De toute façon, il a été arraché à l'édifice il y a longtemps.
Les blocs utilisés mesurent jusqu'à deux mètres de longueur pour une largeur et une épaisseur ne dépassant pas une cinquantaine de centimètres. Ils ont été très soigneusement taillés, de sorte que le jointoyage au mortier est parfois quasiment invisible.

Description générale:

Une fois entré par une porte à redans (), nous arrivons dans une première salle (I) de petite taille. A main droite on trouve une salle longue (II) qui aboutit au fond à un escalier qui donnait accès au toit. Sur le côté Ouest de celui-ci et au-dessus de la pièce du serdab avaient été ménagées deux fosses en forme de cigare, qui auraient dû contenir des barques mais qui sont restées vides. Rappelons que ces barques étaient à l'origine censées accompagner uniquement les pyramides royales, comme celles retrouvées aux pieds de la pyramide de Khéops ou d'Ounas.

A partir de la salle I, une petite ouverture donne accès à une salle III qui présente trois piliers médians. A son extrémité Ouest se trouvait une ouverture conduisant à une série de 5 magasins. Une nouvelle porte à redans donne sur l'enfilade des salles IV et V.

A l'Ouest de la salle IV, et enfoui dans la maçonnerie, sans aucune ouverture, se trouve le serdab. Dans cette pièce on trouve habituellement une statue debout du défunt qui vient se nourrir des offrandes. Dans certains mastabas, une ouverture est ménagée dans le mur pour que le mort puisse "voir" ce qui se passe dans sa tombe, mais pas ici. Lors de la fouille initiale, la pièce était vide.

La salle V a la curieuse particularité de comporter un banc, destiné aux personnes qui venaient rendre le culte funéraire.

La salle VI comporte un puits funéraire d'époque tardive.

La salle VII est celle destinée aux offrandes puisqu'elle comporte à son extrémité Ouest la stèle fausse porte qui assure le point de contact entre le monde d'ici-bas et l'Au-delà. Elle comporte aussi une table d'offrande au sol.

La salle VIII ne semble avoir d'autre fonction que d'étendre encore plus la superficie du monument, sans doute pour se rapprocher de l'habitation terrestre du vizir. Elle représente en fait une extension excentrée de la salle des offrandes. C'est elle qui conserve les couleurs les plus éclatantes.

Dans l'épaisseur de la maçonnerie située à l'angle Nord-Ouest de la chapelle, et donc près de la salle des offrandes, s'ouvrait dans le toit puis dans le sol le puits funéraire. celui-ci conduit à des appartements funéraires souterrains strictement destinés au défunt, auquel nul n'avait accès après les funérailles. Ces appartements sont constitués d'une pièce en "T" renversé comportant le sarcophage de Kagemni.

État actuel de la tombe

Outre le pillage datant de l'époque pharaonique, le monument a souffert beaucoup lorsqu'il fut transformé en carrière de pierres. C'est ainsi que les dalles de toit originales ont complètement disparu. De même, la partie supérieure des parois manquent, surtout dans les premières salles. Les scènes restantes, réalisées en relief levé, sont d'une grande qualité; elles sont situées entre les vides des zones supérieures et le bandeau de bas de paroi qui mesure environ 1m de haut. Celui-ci est surmonté par deux bandes jaunes et rouges, elles-même cerclées de noir.

Les décors intérieurs

Rappelons que l'organisation d'une paroi de tombe égyptienne ne présente avec la bande dessinée moderne que des affinités superficielles, car son organisation syntaxique est bien plus complexe et ne relève nullement d'une intention narrative : le défunt, seul véritable spectateur des images, y retrouve la totalité d'un monde réel idéalisé, ramené métonymiquement à des éclats de réalité, ceux-ci organisés en correspondances (antithèses, chiasmes etc.) qui mettent en jeu l'espace d'une ou de plusieurs salles, voire celui de la chapelle tout entière.

L'ensemble des scènes, ciselées en relief levé, a été réalisé sur un fond bleu-gris, qui n'est bien préservé que dans la salle VIII. Ailleurs, la disparition précoce des dalles de toit a exposé les peintures à l'air et au soleil, les faisant ainsi disparaître plus ou moins complètement. Les espaces vides, comme ceux qui ont été ménagés derrière les portes, étaient eux peint en rouge piqueté de noir de façon à imiter le granit, LA pierre dure et noble par excellence.
Remarquons que certains tableaux semblent avoir été négligés, avec des sculptures maladroites et hâtives. Il s'agit en fait de zones inachevées, que l'on retrouve surtout dans les premières pièces, les dernières à être décorées ().

A l'Ancien Empire, il n'est pas de coutume de représenter des scènes divines ni même des Dieux, comme on le verra si souvent par la suite. Les thèmes que Kagemni a choisis sont assez stéréotypés pour l'époque, entièrement tournés vers ses activités terrestres et vers son culte, et sont destinés à montrer l'abondance de biens dont il jouissait, la fertilité de son bétail, la richesse de ses champs… C'est ainsi que les scènes agricoles, de chasse et de pêche, ainsi que celles de transport de richesses diverses constituent l'essentiel de ce répertoire.
Par chance, le tracé très précis des scènes nous permet d'appréhender des détails nombreux. Tantôt il s'agit de détails scientifiques, comme les techniques de chasse et de pêche, ou l'identification des espèces d'oiseaux ou de poissons. Ailleurs, il s'agit de petites scènes émouvantes, comme ce petit veau qu'un bouvier fait traverser en le portant sur son dos, et qui se tourne pour appeler sa mère. Quelques scènes festives très vivantes sont également retrouvées.

Les scènes d'extérieur occupent les premières salles tandis que les scènes liées au repas funéraire se concentrent dans la partie la plus reculée de la tombe. Les inscriptions contiennent le titre des scènes, la description des offrandes et leur provenance ainsi que les titres de Kagemni.
Elles sont focalement ponctuées par les conversations ou interjections qu'échangent les serviteurs du maître. Ainsi il faut imaginer la chapelle comme magiquement vivante, bruissant des activités de cette vie quotidienne idéalisée à laquelle Kagemni participe comme de son vivant. Il faut savoir entendre, dans le silence des salles, les hommes qui s'interpellent entre eux, il faut les imaginer non pas figés dans la pierre, mais en train de réellement FAIRE ce qui est représenté. Tout un monde vivant et animé se découvre alors à nos yeux.
L'influence de la religion osirienne, qui se développe à la fin de la Vème dynastie, est visible dans la dernière partie notamment. Ainsi, le "Dieu Grand" auquel il est fait allusion est Osiris, et des préoccupations -et une responsabilité- morales, qui n'existaient pas jusqu'alors, font leur apparition.