Pendant plus de trois millénaires, les Égyptiens ont entretenu des relations privilégiées avec le monde animal. Association intime, profonde, fondamentale, qui était basée sur la conviction de la nature commune de l’homme et de l’animal. Cette relation est particulièrement perceptible en ce qui concerne le bétail, puisque aussi bien nous avons affaire à une société dont les origines sont pastorales.
En effet, outre son utilité dans les travaux des champs, le bétail domestique fournissait de nombreux produits très utilisés : viande, lait, graisse, sang, peau, os, fumier, cornes, tendons.
Symbole même de la richesse, du pouvoir et source de prestige, les troupeaux en général, et le bétail en particulier sont très souvent représentés dans les tombes, notamment à l’ancien empire. Le bétail figure toujours en bonne place dans la liste des tributs perçus par Pharaon, aussi bien que dans le butin de ses conquêtes.

ZOOLOGIE

Avant l’Ancien Empire, on ne trouve que des représentations de bœufs à longues cornes en lyre, ou à courtes cornes, ou encore de bêtes volontairement écornées où dont les cornes ont été déformées, -coutume encore en usage dans certaines populations pastorales africaines.
La première illustration de Zébus (Bos indicus) date de la XVIIIe dynastie, représentés dans les tombes thébaines sous forme d’animaux de trait, parfois apportés en tribut par les asiatiques.
Les zoologistes admettent que l’ancêtre du bétail autochtone est l’auroch, qui se déplaçait en troupeaux d’animaux sauvages aux franges désertiques de la vallée jusqu’à la fin du nouvel empire. Bêtes puissantes et dangereuses, ils étaient chassés par des professionnels, le roi ou des nobles, ou capturés au lasso. La face arrière du premier pylône du ramesseum montre une de ces scènes de chasse.

VACHES, BŒUFS, ET VIE EN ÉGYPTE

1°) Dans les tombes d’ancien empire

Les troupeaux et la vie quotidienne des humbles gens qui s’en occupent figurent souvent en bonne place.
Petit veau tétant sa mère, homme trayant une vache, bétail traversant un gué sous la surveillance attentive de son gardien qui veille à tenir éloigné les crocodiles, sont des scènes souvent touchantes qu’on retrouve fréquemment.
Des soins étaient prodigués au bétail, ce dont témoigne un manuscrit dit vétérinaire de Kahoun de la fin de la XIIe dynastie.

2°) Les scènes de boucherie sont très nombreuses.

Le sacrifice rituel du bœuf fournit en effet un élément indispensable au culte divin, la viande, qui était également consommée ensuite par les prêtres et occasionnellement par des gens plus humbles lors de certaines fêtes.
La patte avant droite "khepesh" constituait le morceau de choix, dont la découpe est souvent illustrée. Le salage de la viande semble avoir existé.
A l’ancien et au moyen empire au moins, un prêtre inspectait l’animal, notamment en reniflant son sang sur la main du boucher, pour voir s’il était pur et pouvait être offert en offrande et consommé.
Ainsi dans le mastaba de Ptahotep à Saqqarah, on voit ce prêtre représenté, déclarant : "il est pur".
Au vu de leur importance pour les offrandes, il est très probable que les temples maintenaient en permanence de petites quantités d’animaux dans des enclos pour les avoir sous la main.

3°) Inspection du bétail

Des scènes également nombreuses concernent le dénombrement et l’inspection du bétail par des officiels assistés de scribes. Une des représentations les plus spectaculaires vient de la tombe de Meketre de la XIIe dynastie. On y voit des modèles en bois peint représentant Meketre sous un pavillon regardant défiler devant lui ses animaux et leurs gardiens.
Symbole de sa richesse, ces animaux continueraient à assurer son bien être dans l’au delà. Source majeure de prestige, le bétail était marqué au fer du nom de son propriétaire.
Si un propriétaire pouvait avoir des centaines de têtes de bétail, c’est par milliers que les temples en possédaient. Le papyrus Harris nous apprend qu’au cours de son règne, Ramsès III fit don de 421.659 têtes de bétail au seul grand temple d’Amon à Karnak.

4°) Bœufs et vaches étaient aussi des animaux indispensables pour l’agriculture

D’innombrables scènes montrent ces animaux tirant la charrue, ou piétinant le sol afin d’y enfouir les semences, ou encore foulant les épis pour en détacher le grain.
L’intime relation liant le gardien à son troupeau est illustrée par le "conte des deux frères" qui raconte la vie de Bata s’occupant jour et nuit de son troupeau, dormant parfois avec lui dans l’étable, et même dialoguant avec lui !

5) Les bovins servent également d’animaux de trait, du moins à partir du Moyen Empire

Thoutmosis III fera tirer par des bœufs ses navires démontés jusqu’à la cité de Karkhemish, sur l’Euphrate. Dans les scènes représentant la bataille de Kadesh, Ramsès II fait figurer des attelages de bovins tirant des fournitures militaires sur des chariots.
Ces scènes de trait représentant des chariots avec des roues sont cependant plus souvent en relation avec des étrangers, ce qui montre bien qu’il ne s’agit pas d’une coutume proprement égyptienne. Le chariot n’apparaît d’ailleurs en Égypte qu’après l’invasion Hyksos. Les Egyptiens préféraient le traîneau, ce qui est bien clair quand on regarde les nombreuses scènes des tombes du nouvel empire qui montrent le sarcophage du mort sur un traineau, halé vers sa dernière demeure par un attelage bovin.

ROLE DIVIN DE LA VACHE

Symbole de fécondité, de giron maternel, pourvoyeuse du lait vivifiant, la vache joue un rôle majeur dans l’imaginaire et les mythes égyptiens.

L’animal est associé à de nombreuses formes divines, au premier rang desquelles Hathor et Nout.
A partir du nouvel empire apparaît l’idée que le ciel est le lieu de gestation où le soleil mort à la fin du jour se régénérera la nuit. A ce titre, il est représenté par une entité féminine ou par une vache dans le sein de laquelle doivent se dérouler les différents processus qui permettront une remise au monde le matin d’un soleil nouveau prêt à commencer sa course dans le ciel diurne.
La vache est le réceptacle d’un soleil en devenir, comme elle l’est du défunt qui devra renaître dans le monde de l’au delà.
Certaines représentations montrent le mort, assimilé au soleil sous sa forme de Re-Horakhty, qui sort le matin entre deux sycomores sous forme d’un petit veau.

Dans le "livre de la vache du ciel", on nous raconte l’histoire de la révolte des hommes contre Rê vieillissant. Après avoir détruit les rebelles, Rê décide de quitter le monde terrestre pour retourner poursuivre, seul, sa course dans le ciel. Pour l’aider à remonter vers le ciel, Nout prend l’aspect d’une vache et incarne désormais sous forme de voûte le lieu de circulation de l’astre. Mais Nout était sujette au vertige…c’est pourquoi Shou la soutient tandis que huit génies-étais "Hehous" maintiennent ses pattes.

La déesse Mehytouret ("grand flot", "grande nageuse") représente une forme de la déesse Neith lorsqu'elle elle se manifesta "la première fois" sous forme de vache à la surface de l’océan primordial, le Noun. Elle prononce sept paroles créatrices, considérées comme des entités divines à part entière.

LES DIEUX TAUREAUX ET LEUR CULTE

Les dieux taureaux se retrouvent dès les époques pré-dynastiques : palette au taureau (Louvre), palette de Narmer (Caire), têtes de taureaux ornant le pourtour de certains mastabas dès les premières dynasties à Saqqara Nord

Il faut distinguer taureau sauvage et taureau domestique

Très tôt, la majesté royale fut mise en rapport avec l’animal sauvage, ce dont la palette de Narmer (musée du Caire) donne une magnifique illustration. Chassé par les rois, il représente la puissance non contrôlée mais aussi l'invincibilité du soleil du désert. En tant que tel, son image est associée à celle du pharaon guerrier. Pendant tout le nouvel empire, les épithètes de "taureau puissant, grand en force", de "taureau d’Horus" expriment la force royale, et celle de "taureau de sa mère" sa puissance sexuelle et fécondante.

Le roi égyptien est aussi très souvent représenté portant, accroché à sa ceinture, une queue de taureau. La force du taureau sauvage, son indomptabilité et sa vigueur sexuelle ont fait de lui le support de nombreuses manifestations divines.
La capture du taureau sauvage, telle qu'on la voit chez Mererouka, est un acte essentiellement symbolique, montrant la maîtrise de l'ordre (la Maat) sur les éléments sauvages des zones semi-désertiques inorganisées.

Le taureau Boukhis icône de Montou à Ermant était un taureau sauvage, tandis que Mnevis et Apis sont à l'origine des taureaux domestiques. Dès l'ancien empire ils sont synonymes de fécondité et d'abondance pour les égyptiens, peuple d'agriculteurs.
Le plus anciennement attesté (1ère dynastie) sous le nom d'Apis, est un taureau particulier devenu le réceptacle du dieu Ptah dans la région memphite. De même Ra dans le taureau Mnevis à Héliopolis. Teti est identifié au taureau d'Héliopolis.

La couleur de leur robe

Au nouvel empire, pendant les fêtes de Min on promenait un taureau entièrement blanc, orné de faveurs, dont on ignore le nom et l'origine et qui est particulièrement peu documenté. Le taureau d'Athribis, 10 ème nome de basse Égypte est appelé Km wr «Le grand noir» en raison de la couleur de sa robe identique à celle de Mnevis. Apis de Memphis était noir et blanc avec des marques particulières sur le front, le dos, la langue, et une queue panachée noire et blanche, comme le taureau Boukhis.

Répartition géographique

a)- Basse Égypte

C’est là qu’on trouve le plus grand nombre de taureaux sacrés d’Égypte, que l'on peut différencier en deux catégories:
Les plus nombreux, rattachés à leur nome, servent de signe d'écriture pour désigner le nome.

Exemple 1: le taureau du 6e nome de Basse Égypte, capitale Xoïs s'appelant "Khasou", "H3sw", "celui de la montagne" (peu documenté)

Exemple 2: le taureau du 10e nome de Basse Égypte, capitale Athribis, s'appelant "Kem-our", "le grand noir" très anciennement connu, il est cité dans les textes des pyramides. Il est seigneur d'Athribis. A la basse époque il est assimilé à Osiris. Dans les textes thébains Ptolémaïques, il est associé à "Mereh, "mrh", "k3 mrhw", "le taureau oint". Certaines épouses royales s'appellent "filles du taureau mrhrt" ; ainsi que certaines divines adoratrices qui portent le taureau mrh dans leur titulature.

Exemple 3: le taureau du 11e nome de Basse Égypte, capitale Léontopolis s'appellerait "hsb(w)", "l'abattu", "le tué", même racine que le couteau hsb et abattre hsbt. Peut être en rapport avec le culte à un animal de sacrifice, à un animal abattu au cours d'un rituel ?
Dans le delta, il existe toute une série de taureaux pour lesquels on n’a que le nom. Ainsi sur la statue de Seneb (musée du Caire), Ve dynastie, sur laquelle il est écrit qu’il est le prophète d’un grand taureau à la tête de Setepet : "Ka wr khenty setepet"

b) En Haute Égypte

Il existe moins de taureaux connus:

Le "taureau blanc" promené à Thèbes pour la fête de la vallée serait le taureau Boukhis.

Medamoud, temple consacré à Montou, est le sanctuaire principal du taureau Boukhis qui, à partir de Nectanebo II, va incarner Montou.

Le taureau seigneur de Kasa connu dans le 14 ème nome de Haute Égypte (capitale Cusae) : "Ka neb K3s3".

Dans le 17e nome de Haute Égypte le taureau Bâta, seigneur de Saka a pris la suprématie sur Anubis au nouvel empire ; il est cité dans le conte des deux frères (papyrus d'Orbiney) dont le plus jeune s'appelle Bâta et qui va se réincarner dans le taureau Bâta. II est également cité dans le papyrus Jumilhac.

LES TROIS TAUREAUX PRINCIPAUX : BOUKHIS-MNEVIS-APIS

Les trois entités taureaux principales, dont la notoriété dépasse largement leur lieu d'origine, sont Boukhis, Mnévis et surtout Apis, dont Sérapis sera un avatar plus tardif.

Boukhis

C’est le moins bien connu des trois grands taureaux sacrés de l’ancienne Égypte.

Le taureau Boukhis émanation tardive de Montou à Ermant était un taureau sauvage également représenté par un faucon hiéracocéphale. On a retrouvé la nécropole des Boukhis, le Bucheum, en périphérie de cette ville. Les critères de choix de l’animal semblent assez proches de ceux de l’Apis.

Mnevis

L'origine du nom est inconnue. Manethon affirme qu'il a commencé pendant la deuxième dynastie mais aucune preuve archéologique n'a été retrouvée. Dans les textes des pyramides il est simplement nommé le taureau d'Héliopolis. Dans les textes des sarcophages, au moyen empire, apparaît le nom de "nem our" qui va devenir plus tard "Mer our" puis "Our mer", Mnevis étant la dernière appellation à l'époque grecque et gréco-romaine.

Ses caractéristiques physiques et anatomiques nous sont bien connues grâce aux descriptions des auteurs grecs : II s'agit d'un taureau noir au pelage hirsute avec sur la nuque une bosse, parfois des testicules particulièrement imposants ; il porte le disque solaire entre les cornes. A l'époque ptolémaïque il a souvent un corps d'homme à tête de taureau portant un disque solaire surmonté de plumes d'autruches.

A côté du Mnevis vivant était adoré un emblème constitué par un long bâton au sommet duquel était fiché une tête de taureau, cet emblème a fusionné avec le pilier Ioun pour donner cet emblème cité dans le texte de la pyramide de Ounas sans qu'il porte un nom particulier. Les trois emblèmes coexistent sur un monument de la fête-sed d’Osorkon II à Bubastis.

Dans les temples gréco-romains, Mnevis veille à l'approvisionnement des tables d'offrandes des dieux tout comme Apis plus tard.
Son caractère le plus marquant est son rapport très étroit avec le dieu Ra d'Héliopolis, rapport privilégié exprimé par ses épithètes : "Hérault de Rê", ou "celui qui répète la vie de Rê", "celui qui élève Maât à Atoum".
A Edfou ou Dendera, Atoum est parfois qualifié de taureau d’Héliopolis ; Mnevis peut porter des épithètes solaires ("seigneur du ciel" ; "dieu grand").

a probablement voulu déplacer Mnevis d'Héliopolis à Amarna : la stèle frontière K parle de l'aménagement d'une nécropole pour Mnevis à l'est d'Akhetaton mais l'endroit n'a pas été retrouvé.

Mnevis a été mis en relation avec le culte de l'œil dès les textes des pyramides.Dans un autre passage du texte des pyramides il assiste le soleil au moment ou celui ci, sous forme de l'œil, combat les ténèbres; au matin, il est le grand taureau qui frappe Keneset. Plus loin il est appelé loun de Keneset, taureau du ciel. A l'époque gréco-romaine il est identifié à Osiris (Plutarque : de Iside) ; il est associé à Apis, et rapproché de Sérapis

Apis

Le taureau Apis est la manifestation vivante, l'hypostase du dieu Ptah de Memphis. À ce titre, il servait d'intermédiaire entre les hommes et le dieu créateur, essentiellement à travers les oracles qu'il rendait.

1. Apis et la royauté

Apis est mentionné dès les débuts de l'Ancien Empire. Le pharaon est tout de suite intimement identifié avec l'image du taureau sous tendue par Apis. Cette appellation de taureau victorieux que l'on attribue au pharaon perdurera pendant toute l'histoire de l'Égypte antique. Lors des cérémonies du couronnement et lors de la fête Sed, le roi effectue une course qui rappelle celle du taureau Apis.

2. Le choix de l'Apis

 

L'animal était choisi selon des critères très précis concernant à la fois sa couleur (le noir), la présence de certaines marques (dont un triangle blanc sur le front), un certain moment de naissance. Après sa mort, Apis avait droit à une momification identique à celle des pharaons ainsi qu'à un sarcophage.
Le Serapeum, la nécropole des Apis, a été retrouvée en 1851 par l'égyptologue français Auguste Mariette sur le plateau nord de Saqqara.
Les dates d'intronisation et de décès des Apis constituent un important critère de datation de la chronologie égyptienne surtout à partir du 7e siècle av. J.-C. 
La dévotion populaire envers Apis était importante, ce dont témoigne le grand nombre de stèles laissées par les fidèles dans le Serapeum.

3. Apis et l'au-delà

Très tôt la vigueur d'Apis a été associée avec le maintien des phénomènes naturels terrestres dans l'au-delà, et notamment la crue du Nil.

Plus tard, Apis est d'abord associé à Osiris, puis devient progressivement Osiris, d'où la forme Osiris-Apis dont se servira Ptolémée I Soter.
Cette complémentarité puis cette fusion est illustrée par la présence fréquente sur les sarcophages de Basse Époque, d'une représentation de l'Apis galopant, portant sur son dos, un sarcophage momiforme. Il s'agissait là d'une évocation du retour de l'inondation fécondante et de la fertilité puisque le corps d'Osiris est identifié à la terre d'Égypte.

4. Sérapis

Après la conquête d'Alexandre, Ptolémée I Soter institue le culte d'un nouveau dieu, combinaison syncrétique artificielle, Sérapis. Outre les emprunts grecs, ce dieu avait été voulu par le souverain comme porteur du vieux fond égyptien représenté par Osiris (Wsir) et le taureau Apis.
On a retrouvé dans un papyrus du Serapeum la mention d'un prêtre d'OuserApis et d'OuserMnevis, Petisis, qui servait l'Apis et le Mnevis mort.
Dans le Fayoum près de Dimeh, un temple était dédié à Sérapis OuserMnevis.

La grande popularité de ces taureaux à l'époque tardive explique qu'ils soient encore cités dans des ouvrages coptes : dans un codex de Nag-hammadi, Apis est cité comme symbole du soleil et Mnevis comme symbole de la lune.