Le site de Timna se trouve en Israël, à 30 km au nord du golfe d'Aqaba (). Actuellement, il s'agit d'un parc naturel proposant de nombreuses activités, mais c'est aussi un haut lieu de la métallurgie puisqu'il s'agirait du plus ancien site d'extraction de cuivre du Proche Orient, déjà exploité au 4e millénaire av. J.-C. par les populations locales. L'endroit est particulièrement inhospitalier, sans eau, sans végétation autre que quelques maigres épineux et il y règne une chaleur infernale.
C'est sous la XIXe dynastie que les Égyptiens, qui avaient un besoin vital de cuivre, prirent conscience de l'intérêt du site qu'ils désignaient par le nom de Gebel Athak (ou Atak, Atika).

Le site

Le site a la forme d'un cirque rocheux d'environ 5 km de diamètre, ouvert vers l'est et limité sur les autres faces par des falaises atteignant 300m de haut, aux pieds desquelles sont creusés des puits cylindriques. Au centre de ce cirque se trouve le mont Timna, dont certaines parois sont découpées par l'érosion, donnant des promontoires effilés impressionnants, qui ont été appelés "Piliers de Salomon". L'érosion a également façonné d'autres structures rocheuses bizarres, comme ce célèbre champignon ().
C'est Nelson Glueck qui, dans les années 1930, a attribué les mines de cuivre de Timna au roi Salomon (10e siècle avant notre ère) ; il avait tort, mais on continue parfois à parler des "Mines du roi Salomon" pour désigner le site.

Durant l'âge du bronze, le cuivre est le métal le plus important (le bronze est un alliage de cuivre et d'étain) et possède une forte valeur marchande. Tout d'abord pour la métallurgie, bien sûr, mais le cuivre et les sels cuivreux avaient de nombreux autres usages dans l'Égypte antique: dans les médicaments, comme pigments et comme agents colorants dans les émaux et le verre. Mais l'Égypte n'a que peu de cuivre et doit s'approvisionner dans des mines du désert oriental, dans le Sinaï (Serabit el-Khadim) et, plus tard, dans le wadi Arabah (Timna).

C'est surtout à l'étude systématique de l'Arabah Expedition, sous la houlette de Beno Rothenberg (1969-1984) qu'on doit l'identification de nombreux sites archéologiques à Timna : des puits et galeries de mineurs, des enceintes en pierres sèches regroupant habitat, petit sanctuaire et zones de travail, des fours pour la fusion du minerai, des cavaliers de scories, des sanctuaires, de l'art rupestre et des sépultures.

Selon Rothenberg, on trouve mention de Timna sous le nom "Atika" dans le papyrus Harris I 78; 1-5 (époque de Ramsès III), car on parle d'un accès à la mine par voie terrestre et maritime. Le site est aussi mentionné dans le premier livre de Samuel 30:30 sous le nom "Athak".

À Timna, on trouve des traces de collecte et de métallurgie du cuivre à partir du quatrième millénaire av. J.-C. et on peut suivre le développement graduel des techniques métallurgiques employés.
Timna est le plus gros site d'extraction de cuivre à destination de l'Égypte connu à ce jour. L'activité minière y a atteint son apogée au cours des XIXe et XXe dynasties, mais la présence égyptienne est peut-être plus ancienne.
C'est Ramsès II qui, peut-être en l'an 7 lors de la campagne contre le pays d'Édom, a pacifié la région et organisé la présence durable des Égyptiens. Cette sage décision a permis au Double-Pays de faire face aux grands changements qui secouent le Proche Orient au 13e siècle av. J.-C., tandis que d'autres empires - comme celui des Hittites par exemple - s'effondraient.

Il semble que certaines populations locales (Midianites, originaires de la rive est du golfe d'Aqaba et Amelécites) soient devenues des partenaires des Égyptiens, ce qui expliquerait la coexistence de deux techniques différentes de traitement du minerai au Nouvel Empire. Il semble aussi que, outre leurs modestes lieux de cultes dans les campements, ces hommes participaient au culte d'Hathor dans son sanctuaire.

Après une période de flottement due au désordre qui entoure la fin de la XIXe dynastie, Ramsès III reprend les choses en mains. Il lance, aux alentours de l'an 20 de son règne, une grande expédition militaire afin de pacifier la région et élève une forteresse sur les "Chemins d'Horus", abritant des troupes capables de rayonner sur toute la région. Il s'agit en effet de recréer une présence égyptienne permanente dans les mines, car les besoins en cuivre de l'Égypte sont de plus en plus importants.

Le travail dans les mines

1)- Puits et galeries

(, )

Les mines de Timna au temps des Égyptiens sont formées par une série de puits cylindriques peu profonds (, ) reliés par des galeries souterraines. Les puits peuvent descendre jusqu'à une trentaine de mètres avant d'atteindre le filon de cuivre, qu'une galerie tortueuse suit aussi loin que possible.
Selon Craddock (1995) : "Les puits sont petits, peu profonds. Bien que reliés par des galeries souterraines, il ne semble pas exister de stratégie minière globale, ni quelque connaissance que ce soit concernant les possibilités de ventilation et de drainage".
Les outils de travail sont rudimentaires, en pierre, plus rarement en cuivre et encore plus rarement en bronze ()

2)- Fusion du minerai

Le minerai une fois extrait est fondu dans de petits fours qui se trouvent dans des ateliers comme .
Le minerai est constitué par un mélange d'azurite, de chrysocolle, de malachite, de pseudomalachite, de turquoise, qui lui donne une teinte bleue ou verdâtre (voir ).
Le premier type de cuivre que l'on trouve est le cuivre natif, souvent nodulaire, qui ne demande que des opérations simples et une température modérée pour être fondu ; il ne laisse pas de scories.
Pour exploiter des filons moins riches et de composition plus complexe, il faut une température supérieure et utiliser une procédure appelée fluxage. Le flux en métallurgie est un produit qui permet de protéger de l'oxydation et/ou de fluidifier un métal en fusion. Habituellement, c'est l'oxyde de fer qui est utilisé comme flux. La fusion entraîne dans ce cas la production de scories minéralo-ferreuses et de cuivre réduit. Celui-ci se présente sous forme d'amas spiculés, mélangés aux cendre et aux scories ou sous forme d'une galette au bas du fourneau.
À Timna, pour obtenir 1 kg de cuivre métal, il faut environ 5 kg de minerai de cuivre, 50 kg de charbon et 20 kg de minerai de fer.

Soufflets à Timna et dans la tombe de Rekhmirê

À la base du four se trouvent quatre tuyères en roseau ("pipes") reliées à des soufflets à pieds (). Chaque homme a les pieds fixés à deux soufflets et bascule son poids de l'un à l'autre : pendant qu'il écrase le soufflet droit, il remonte le pied gauche en même temps qu'il tire sur une corde fixée à un clapet, facilitant ainsi l'entrée de l'air dans le soufflet gauche. La scène est bien représentée dans la tombe de Rekhmirê, .
Le métal en fusion (à 1200°C) se trouve dans un creuset que deux hommes tiennent serré à l'aide de tiges de bois et qu'ils inclinent pour laisser le liquide se déverser dans un moule (, ). On ne peut s'empêcher de frémir en pensant à la fragilité des tiges et aux conditions de travail des fondeurs…

Où l'archéologie expérimentale entre en scène

Je dois les images de reconstitution d'un four à fondre le minerai (qui reproduisent certains de ceux de Timna), à l'amabilité de Philippe Andrieux, paléométallurgiste, que je remercie. Il a particulièrement travaillé sur le fonctionnement des ateliers de fondeurs de l'âge du Bronze et du Fer. On y voit la mise en application archéoexpérimentale des travaux de Rothenberg.

La restitution est basée sur les constatations de fouille suivantes :
- un trou dans le sol, rubéfié par l'action des oxydes de fer et contenant des scories.
- immédiatement autour, un épandage de pierres plates portant des traces de l'action d'une très forte température, sur lesquelles des scories sont parfois collées.
Pour reconstituer le four, il suffit de rassembler les petites dalles, en plaçant leur côté altéré par la chaleur autour du trou central, tourné vers l'intérieur.
Le chauffage se fait avec des soufflets et des tubes à vent ou tuyères (rarement retrouvés car rendus très fragiles par la chaleur intense). Il ne reste plus qu'à mettre régulièrement du charbon de bois () et du minerai… et à pomper ! Le métal liquide est alors coulé dans des moules creusés dans la pierre ; différentes formes sont possibles, la plus attestée est celle d'un rectangle avec quatre poignées ().
Une fois les lingots coulés, ils sont transportés vers l'Égypte soit en transitant par un port de la mer rouge, puis par bateau jusqu'à un port égyptien, soit par voie uniquement terrestre en passant par les "Chemins d'Horus" puis le Delta.

Le temple d'Hathor

()

Pendant toute la durée d'occupation du site par les Égyptiens, le temple a représenté le principal lieu de culte des mineurs. À l'origine, les populations locales avaient creusé un autel dans la falaise. À l'arrivée des Égyptiens, un naos rectangulaire est édifié devant cet autel ; celui-ci est élargi en une vaste niche pour abriter une statue de la déesse Hathor. Le sanctuaire sera restauré une première fois, puis reconstruit par Ramsès III.
Trois divinités se partageaient le temple, mais c'est la déesse Hathor qui avait la prééminence. Hathor, Dame de la turquoise, protectrice des mineurs, est la divinité tutélaire du "pays de mefkat" qui recouvre le Sinaï et le sud Arabah. Ce terme de mefkat désigne la turquoise, et sans doute aussi la malachite et le minerai de cuivre, mais pas le cuivre métal (Levene). Pour les Égyptiens, le métal n'est pas une richesse donnée par la terre, c'est un produit de transformation, d'une nature différente de celle du minerai et il n'est pas sous la dépendance d'Hathor.

Il semble que les rites égyptiens et ceux des Midianites locaux coexistaient dans le temple. Après le départ des Égyptiens, seuls les rites locaux perdurèrent. Le naos fut démantelé et les décors des blocs effacés, afin de donner l'illusion d'éléments bruts ; enfin, la structure fut entièrement couverte de tissus pour imiter une tente.
Le temple a été fouillé par l'expédition Rothenberg, puis a bénéficié d'une anastylose en 1984.

Plus de 11000 dépôts votifs ont été retrouvés : du cuivre, des figurines en argile ou en pierre, des fragments de récipients brisés, des objets en cuivre, or, plomb et une grande quantité d'os et d'arêtes de poissons. Parmi les objets offerts, trente portaient les noms de neuf rois d'Égypte, tous de la XIXe ou XXe dynastie.
En novembre 2017, la tombe d'une femme, enceinte, a été pour la première fois trouvée à Timna ; le tumulus se trouve à proximité du temple d'Hathor dans lequel cette femme a probablement officié comme chanteuse ().

Les mineurs autochtones disposaient par ailleurs de nombreux petits sanctuaires très simples, comportant des pierres dressées, des tables d'offrandes, des bassins de pierre, comme le montre la vue ci-contre.