La recension la plus complète du mythe d'Osiris que nous connaissions est celle de Plutarque, dans son De Iside et Osiride (1). On connaît le stratagème utilisé par Seth et ses comparses, et on sait comment les conjurés, ayant enfermé Osiris par ruse dans un coffre exactement à sa mesure, le jetèrent à la mer, épisode que Plutarque est le seul à rapporter (2) Alors commencèrent le deuil et la quête d'Isis (Isis et Osiris, 14-18) qui se rendit jusqu'à Byblos pour chercher le coffre renfermant le corps de son époux.
S'étant échoué sur le rivage, il avait été enveloppé par un buisson (tamaris ou érica) devenu un arbre si merveilleux que le roi, ébloui par sa beauté, en avait fait une colonne de son palais. Après maintes péripéties, la déesse put enfin récupérer le corps, l'embrasser et le pleurer. Puis, voulant se rendre auprès de son fils Horus, elle déposa le coffre dans un lieu retiré du Delta. C'est là que Seth le trouva, "une nuit qu'il chassait avec sa meute au clair de lune" et le coupa en quatorze morceaux qu'il dispersa dans les marais (Isis et Osiris, 18). Isis entreprit alors une nouvelle quête et, retrouvant un à un les morceaux du corps d'Osiris, les ensevelit dans les différentes villes d'Egypte.

Tel est en substance le récit de Plutarque. Il souligne qu'il en a supprimé "les épisodes choquants, comme le démembrement d'Horus et la décollation d'Isis" (Isis et Osiris 20), deux épisodes de la lutte d'Horus contre Seth, lorsqu'Horus cherchait à récupérer l'héritage de son père. Il en a surtout occulté l'essentiel : la mort d'Osiris.
Enfermé vivant dans un coffre et jeté à l'eau, il n'est nulle part dit "mort". Sa mort n'est évoquée que par allusions : "cet événement", "ce malheur" (Isis et Osiris, 14). Quand Isis ouvrit enfin le coffre, dans "le premier endroit désert", "dans la solitude, son visage pressé contre celui d'Osiris, elle étreignit le corps, et elle pleurait". Chez Diodore de Sicile, le terme, plus brutal, reste vague : "fait disparaître". C'est seulement quand Seth retrouve le corps qu'il porte la main sur lui et le coupe en quatorze morceaux.
Le nombre de morceaux du corps d'Osiris varie selon les sources de quatorze à quarante-deux. Les deux versions du Papyrus Jumilhac mentionnent quatorze morceaux collectés par Isis en douze jours, ce qui correspond à la durée de la fête du labour (3). Selon Diodore de Sicile (l, 21,2), Typhon "découpa le corps de sa victime en vingt-six morceaux", un par conjuré. On donna à chacun une apparence momiforme avant de l'ensevelir.
Enfin, la géographie sacrée d'Edfou mentionne autant de morceaux que de nomes, soit quarante-deux. Le corps démembré d'Osiris, dont l'inondation refait l'unité, se confond ainsi avec la terre d'Egypte (4). Ici, les quatorze morceaux représentent sans doute ceux qui sont retirés à la lune, dans la phase descendante, jusqu'à sa disparition totale (5), la quête d'Isis et la reconstitution du corps illustrant, au contraire, la phase ascendante, jusqu'à la réapparition de la pleine lune, complète, reconstituée - l'œil oudjat.

Le récit de Plutarque comporte donc les éléments suivants :
*La "première mort", induite, puisque Osiris est enfermé vivant dans le coffre ensuite jeté à l'eau, d'où la conclusion, communément admise, qu'il était mort par noyade.
*La première quête d'Isis, jusqu'à Byblos, à la recherche du corps.
*La "seconde mort" d'Osiris, coupé en morceaux par son frère Seth, morceaux encore une fois jetés dans le Nil.
*La deuxième quête d'Isis qui collecte les morceaux du corps de son époux et les ensevelit séparément ou ensemble, selon les traditions (Isis et Osiris, 20-21).

Chemin faisant, "d'une union posthume d'Osiris avec Isis naquit un enfant venu avant terme et faible des membres inférieurs, Harpocrate" (Isis et Osiris, 19), sans que l'on sache à quel moment eut lieu exactement cette naissance, ni quel est le rapport entre ce jeune Harpocrate ("Horus l'Enfant") et le petit Horus "élevé à Bouto" auprès duquel s'était rendue Isis, abandonnant le coffre, cette nuit funeste où Seth découvrit le cadavre.

L'intérêt essentiel du récit de Plutarque est de proposer une relation suivie du mythe, et c'est en cela qu'il se distingue des sources égyptiennes.
En effet, si la plupart des éléments sont présents dès les Textes des Pyramides, ils y font l'objet de mentions éparses, sans constituer un récit suivi. Que nous apprennent donc les plus anciens textes égyptiens sur la mort d'Osiris?
Le récit du complot n'y figure pas, non plus que dans les autres sources égyptiennes. Il y a peut-être cependant une allusion au § 184, où Osiris est désigné comme celui qui a été "mis en coffre (deben), en boîte et en sac". Le "beau coffre magnifiquement ouvragé" de Plutarque évoque indéniablement un sarcophage. La version égyptienne apporterait une précision supplémentaire en mentionnant la triple enveloppe : sarcophage extérieur, sarcophage intérieur, et linceul. Que ce coffre ait été jeté à l'eau n'apparaît pas non plus. Cependant, Osiris est mis à deux reprises en rapport avec l'eau.

1. Osiris N, prends cette eau fraîche, rafraîchie pour toi auprès d'Horus, en ce tien nom de Celui-qui-est-issu-de-l'eau-fraîche.
Prends les humeurs issues de toi.
Horus a fait que soient assemblés pour toi les dieux, depuis le lieu d'où tu pars.
Horus a fait que te soient assignés (ses) enfants, depuis l'endroit d'où tu dérives ' (§ 24 et 766).

2. Horus a assemblé pour toi les dieux.
Ils ne peuvent s'éloigner de toi depuis le lieu d'où tu es parti.
Horus t'a assigné les dieux.
Ils ne peuvent s'éloigner de toi depuis le lieu d'où tu as dérivé (6615).
Cette deuxième occurrence remplace la référence à l'eau fraîche par un jeu de mots sur bj3, "s'éloigner", mais aussi "espace céleste", "firmament liquide dans lequel le dieu soleil nage ou sur lequel le mort voyage" (Wb l, 439,6-8). Il s'agit toujours de la source de vie, l'eau fraîche dans laquelle se plonge la divinité (Rê, Osiris), en prélude à la (re) naissance.

Ainsi, un texte comme celui de la formule 353 des Textes des Sarcophages, "Puisses-tu me permettre de disposer de l'eau comme Seth disposa de l'eau quand il commit un vol contre Osiris, cette nuit de la grande tempête !" (CT IV, 396a-b), fait allusion au cataclysme déclenché par la mort d'Osiris, mais oppose, surtout, les eaux brutales de l'orage dont Seth est le maître aux eaux fécondantes - les humeurs - qui sourdent du corps d'Osiris.
Cette eau n'est pas celle qui a "noyé" Osiris, lui donnant la mort, mais l'eau en mouvement de l'inondation, qui "noie" la terre d'Egypte, et c'est en ce sens qu'il faut comprendre la "dérive" du corps d'Osiris, que celui-ci soit dans le coffre ou pas. Cette idée est d'ailleurs reprise par le sarcophage du Moyen Empire, tout à la fois réceptacle contenant le corps, maison, et bateau, puisque ses longs côtés ouest et est sont appelés respectivement parois de "bâbord' et de "tribord" (7).
Pas davantage que Plutarque, donc, les documents égyptiens n'attribuent la mort d'Osiris à la noyade.

Au contraire, les Textes des Pyramides sont très précis et insistent sur la violence de Seth : Osiris a été frappé, jeté à terre, lié, tué, découpé en morceaux. Selon le contexte, on trouve deux champs lexicaux différents : le premier met le geste de Seth en rapport avec le lieu de la découvert d'Osiris. le second se réfère au rituel de sacrifice.
Dans le premier cas, les expressions les plus courantes sont "jeté / placé / tombé" sur le flanc,
selon que l'on veut faire ressortir le geste de Seth ou son résultat, c'est-à-dire les modalités de la découverte du corps d'Osiris. La plupart des occurrences utilisent un terme neutre, le verbe rdj, "placer", "mettre", voire pas de verbe du tout.

3. Geb est venu (…). II l'a (Osiris) trouvé placé sur le côté à Gehest (y) (§ 1033b-c).

4. Osiris a été placé sur le côté par son frère Seth. (Mais) celui qui est à Nedit bougera, (car) sa tête a été remise en place par Rê (§ 1500a-b).

5. […], dit Isis. "J'ai trouvé", dit Nephthys, (quand) elles ont vu Osiris sur le côté depuis la rive de [Nédit] (§ 2144a-b).

6. Ta fille (…) qui t'avait trouvé sur le côté, au-delà de la rive de Nedit (§ 1008). Mais d'autres évoquent une action violente :

7. Tu es allée à la recherche de ton frère Osiris, (après que) son frère Seth l'eut poussé sur le côté de ce côté-là de Gehesty (972a-b).

8. Isis est venue ; Nephthys est venue. L'une de l'ouest, l'autre de l'est. L'une en sterne, l'autre en milan. Elles ont trouvé Osiris (comme) son frère Seth l'avait étendu (ndj) à terre à Nédit (§ 1255-1256a-b).

9. Ce Grand est tombé sur le côté ; il est étendu, Celui qui est à Nédit (§ 819a).

10. Ce Grand est tombé sur le côté. (Mais) Celui qui est à Nédit bougera, (car) sa tête a été remise en place par Ré (§ 5721a-c).
Dans ce dernier exemple, le déterminatif de l'animal de sacrifice à la fin du verbe "tomber", dans la version de Téti, est particulièrement éloquent. Cependant, le choix des formulations est essentiellement fonction d'un jeu de mots sur le lieu du drame.
La tradition le situe tantôt à Nédit, tantôt à Gehesty (5-6,8-10 d'une part, 3 et 7 de l'autre). Gehesty forme jeu de mots avec la position d'Osiris "sur le côté", "sur le flanc", Nédit avec le verbe "étendre" (8). Des traditions ultérieures donnent d'autres lieux, situés la plupart du temps en Basse-Egypte ou à la limite de la Haute et de la Basse-Egypte. Ces différents lieux, désertiques, comme l'indique le déterminatif des trois collines, n'ont pas été identifiés. Sans doute s'agit-t-il de lieux mythiques. On s'accorde à situer Nédit dans le Delta. En effet, c'est également là qu'Isis aurait mis au monde et élevé son fils, en cachette de Seth.
Il est intéressant de noter que Nédit est régulièrement le lieu de la mise en mouvement d'Osiris (4,10), le point de départ de la "dérive" du corps (1-2). Cela peut faire allusion, très concrètement, au fait que le cadavre commençait à "se répandre" : le processus de putréfaction devait être entamé lorsque les deux sœurs découvrirent le corps.
Un certain nombre de documents postérieurs l'indiquent.
Selon les Textes des Sarcophages, elles ont le souci d'empêcher la liquéfaction du cadavre (TS 73). Elles font une "digue" autour de lui (TS 74, CTI, 3073.) (9) : c'est le sarcophage.

Nous revoici au point de départ. On peut donc interpréter le verbe mhj, discuté ci-dessus, comme "répandre / se répandre", au propre et au figuré, selon qu'il est transitif ou intransitif - d'où à l'époque gréco-romaine des expressions comme "Celui qui se répand depuis la jambe", avec jeu de mots sur w'r.t, "jambe" et "étendue liquide" issue précisément de la relique osirienne '°. Ce sont ces humeurs qui, canalisées, emplissent canaux et rivières, apportant la fertilité.

Tout ceci correspond à la "première mort" d'Osiris selon Plutarque : abattu par son frère Seth, il est retrouvé à Nédit ou Gehesty par ses deux sœurs, Isis et Nephthys, à la recherche du corps (8). Le deuxième groupe de documents évoque le démembrement du cadavre d'Osiris par Seth. Il utilise des termes beaucoup plus précis et beaucoup plus violents, appartenant au champ lexical du sacrifice.

11. II (Horus) frappe celui qui te frappa, lie celui qui te lia (§ 1007e).

12. Debout, que tu voies ce qu'a fait four toi ton fils ! Eveille-toi, que tu entendes ce qu'a fait four toi Horus ! II a frappé (hw) pour toi celui qui t'avait frappé en bœuf (jh). Il a lié celui qui t'avait lié. Il a tué pour toi celui qui t'avait tué (sm3) en taureau sema (§1976-1977a-c).

13.0, Osiris N que voici! (J'ai frappé pour toi celui qui t'avait frappé en bœuf (ih). J'ai tué pour toi celui qui t'avait tué (sm3) en taureau sema. J'ai fournis (ng3, litt. : brisé) celui qui t'avait soumis en taureau nega (taureau rouge de Haute-Egypte).
Tu seras sur son dos en Celui-qui-est-sur-le-dos-du-taureau.
Celui qui t'avait étendu est (maintenant) étendu (litt. : le taureau étendu).
Celui qui t'avait tiré (avec une flèche) est (maintenant) tiré.
Celui qui t'avait assommé est (maintenant) assommé (§ 1544-1545a-b). (Suit le découpage de l'animal. de sacrifice, répondant à celui d'Osiris) (11)
Ces textes évoquent la vengeance d'Horus et la mise à mort de l'animal de sacrifice assimilé à Seth (métaphore déjà présente lors de la mort d'Osiris avec le déterminatif du verbe "tomber", 10). Il y a chaque fois un jeu de mots, difficile à rendre dans la traduction, entre le verbe et le nom de l'animal.
Le sacrifice apparaît clairement comme un acte de réparation : à chaque geste accompli jadis par Seth correspond un geste d'Horus. Ainsi, non seulement le mal est annihilé, mais il est transformé en acte positif (de même lors de l'abattage des deux animaux de sacrifice de Haute et Basse-Egypte dans le rituel d'Ouverture de la bouche). La mise à mort de l'animal de sacrifice fait partie des rites funéraires effectués lors des funérailles, après la reconstitution du corps.

14. Il (Horus) le (Seth) place sous sa fille, la Grande qui est à Qédem, ta sœur, la grande, celle qui a recueilli tes chairs, celle qui a refermé tes mains, celle qui t'a pris dans ses bras, celle qui t'avait trouvé au-delà de la rive de Nédit, de sorte que sera accompli le deuil dans les deux chapelles (§ 1008, à la suite du II, déjà partiellement cité en 6).

Plusieurs passages des Textes des Pyramides développent la quête des morceaux du corps d'Osiris en vue de lui rendre son intégrité :

15. Te voilà reconstitué (tjs), N que voici !
Tu as reçu ta tête. Tes os ont été recueillis pour toi, tes membres ont été ramassés, la terre a été extraite de ta chair (§ 624-625).
La plupart du temps, la collecte des membres dispersés d'Osiris est faite par Horus :

16. C'est moi, ton fils ; je suis Horus. Je suis venu vers toi te laver, te purifier, te faire revivre, ramasser pour toi les morceaux qui surnagent (12) (litt. ce qui surnage de toi, nb.t=k) recueillir pour toi les parties de ton corps (dm3.t=k), car je suis Horus, le vengeur de son père (§ 1683-1685).
Deux termes désignent ici les membres du corps d'Osiris : les "morceaux qui surnagent" ", allusion précise aux membres jetés dans le Nil, et les "parties du corps", avec déterminatif du couteau, soit découpées. Ce dernier mot est écrit ailleurs avec trois pièces de viande (déterminatif du pluriel "ancien" utilisant trois signes différents (§ 616a, 617a, 654e, 1732a). On ne saurait évoquer plus clairement les membra disjecta dont le Papyrus Jumilhac nous offre, bien des siècles plus tard, une représentation toujours largement métaphorique.
Les morceaux sont recueillis (jnq), ramassés (s3q), réunis (dmdj), serrés dans les bras (shn) avant d'être joints (j’b) et rattachés (tjs) les uns aux autres. La plupart du temps, c'est Horus qui rassemble les morceaux, tandis que Nout reconstitue le corps.
Isis et Nephthys n'apparaissent que rarement dans ce rôle (§ 592,616,631,1981b-c). Leur fonction essentielle est de mener le deuil et d'accomplir les rites funéraires : elles lavent le corps, le pleurent ; leur position respective (aux pieds et à la tête du corps, § 1089d, 2098b), leurs gestes (1281b-1282a, 1630a-b) sont définis. Elles raniment enfin le corps lorsque celui-ci a été réenfanté par Nout (qui rassemble les membres divins au même titre qu'Horus), en son rôle de sarcophage (§ 616d-f, § 825, et § 1629 où elle est présentée, comme au § 828, comme celle qui réunit les parties du corps), et exhumé : après sa gestation au sein de Nout, on enlève la terre qui recouvrait le cadavre.

17. Ta mère Nout t'a mise au monde, ton père Geb a essuyé (litt. balayé) pour toi ta bouche, la Grande Ennéade t'a protégé, elle t'a soumis tes ennemis (§ 626a-d) (…).
Tes sœurs sont venues, Isis et Nephthys pour te rendre ton intégrité (swdj3) (§ 628a).
Sans doute doit-on placer ici la conception d'Horus (§ 632a-b, donné en exergue, repris § 1635b-1636a-b). Sous l'aspect d'oiselles, les deux sœurs ont probablement ranimé le corps des battements de leurs ailes (§ 1280a-b), selon la tradition bien établie dont les Textes des Sarcophages se font l’écho (TS 777, CT VI, 410a-c). Mais comme elles apparaissent également ainsi lorsqu'elles découvrent le corps d'Osiris, à Nédit (8), on peut se demander à quel moment se situe leur action.

En fait, les Textes des Pyramides nous présentent deux scénarios possibles de la mort d'Osiris.

Premièrement, Osiris est abattu par Seth à Nédit. Les deux sœurs y découvrent le corps. Elles le raniment. Isis conçoit alors son fils Horus. Seth, retrouvant le cadavre, le découpe en morceaux qu'il jette dans le Nil. Horus part à leur recherche, les recueille. Confiés à Nout ils sont ensevelis à l'intérieur du sarcophage. Le corps démembré y est reconstitué, recomposé comme celui d'un embryon, avant d'être remis au monde (dans l'au-delà). Les Textes des Pyramides développent par ailleurs l'allaitement et l'alimentation d'un nouveau-né.

Deuxièmement, Osiris est abattu par Seth et découpé en morceaux. Isis et Nephthys les retrouvent à Nédit. Le corps est reconstitué, enseveli, réanimé. La conception d'Horus a lieu à ce moment-là.
Variante du second scénario : Osiris est mis à mort en deux temps (abattu, puis découpé), le
cadavre ayant été découvert une première fois par Isis et Nephthys, puis reconstitué et enseveli avant d'être réanimé.
Le deuxième scénario et sa variante se heurtent à la tradition faisant d'Horus celui qui recueille les morceaux du cadavre de son père (on le retrouve de même aux côtés d'Isis et Nephthys dans le Papyrus Jumilhac, bas, V (13)). Cependant, on pourrait considérer cette quête comme une sorte de raccourci, une métaphore : Horus ne recueillerait pas au sens propre les parties du corps de son père mais son héritage.

Dans tous les cas, il semble préférable de concevoir une mort en deux étapes, telle que nous l'a transmise Plutarque.
En effet, à l'Ancien Empire, on trouve à maintes reprises des traces d'une telle pratique dans le cadre du rituel funéraire. Dans des nécropoles comme celle de Dechacheh (14) - mais les exemples ne se limitent pas à celle-ci -, on possède plusieurs exemples de cadavres dont les os ont été disposés dans le désordre, ce qui suppose une première inhumation (ou, plus probablement, de laisser le cadavre se dessécher et se décomposer) et une inhumation secondaire permettant une organisation différente du corps.
Une telle inhumation en deux étapes est encore présente dans les rites du mois de khoiak, où la momie d'Osiris est ensevelie avant d'être mise en terre (15). II faudrait, bien sûr, reprendre tout le dossier archéologique.

Quoi qu'il en soit, la mort d'Osiris, telle qu'on peut la reconstituer d'après les Textes des Pyramides, est une mort bien réelle. Contrairement à une opinion très répandue (16), elle n'est ni occultée, ni édulcorée. Elle est même évoquée avec une brutalité certaine. En outre, les Textes des Pyramides font à plusieurs reprises allusion à la momification et permettent de définir de façon très précise le rituel des funérailles. Tout ceci montre, s'il en était besoin, qu'il s'agit là d'une tradition ancienne et bien établie, où il est possible de déceler des strates, mais témoignant de l'existence très ancienne du mythe d'Osiris, qui n'est sans doute pas un nouveau venu dans le panthéon égyptien, comme on l'a souvent écrit.
Par rapport à la recension de Plutarque, en sont absents tous les éléments anecdotiques (scène du banquet, épisodes de la quête d'Isis, essentiellement à Byblos). Seuls ont été retenus les événements essentiels. Ce choix est tout à fait logique et répond à la valeur fondamentale du recueil que constituent les Textes des Pyramides : ayant pour fonction d'assurer le passage du trépas à la vie, la mort d'Osiris et sa résurrection y servent de modèle et de mythe de référence. Sont ainsi soulignées la mort proprement dite, avec l'allusion à la putréfaction du cadavre ; la destruction du corps, avec le démembrement (qui se réfère peut-être à des pratiques très précises en usage durant la période préhistorique et encore à l'Ancien Empire, comme nous l'avons vu) ; puis la reconstitution du corps et la mise au monde, ainsi que l'instauration des rites funéraires accompagnant ces différentes étapes. Au-delà de sa mise en mots et en images, la double mort d'Osiris est riche de plusieurs enseignements :
d'abord, le retour à la case départ, le un initial, est nécessaire pour redonner la vie. Osiris est Atoum, celui qui a accompli le cycle, dont l'autre face est Rê, l'un étant la part nocturne, les forces vitales, l'autre la part diurne, les forces lumineuses, selon la célèbre formule de la tombe de Néfertari. En d'autres termes, la mort est génératrice de vie : Horus, le descendant, symbole de la continuité, naît de son père mort.

De même, la végétation naît de la décomposition (les humeurs), tous deux (sperme et humeurs) étant deux liquides générateurs de vie. Le démembrement est nécessaire à la future recomposition de l'être, qui, cependant, ne va pas renaître sur la terre des vivants mais dans l'au-delà céleste et nocturne, c'est-à-dire non plus à titre individuel, comme lors de sa première naissance, mais comme composante de l'univers, intégré ainsi au cycle éternel du vivant.
C'est l'enseignement même des Textes des Pyramides, où le pharaon meurt comme Osiris. Son corps démembré est reconstitué comme celui d'un nouveau-né, et il deviendra lui-même source de vie, ayant acquis tour à tour les éléments (force, mobilité, lumière) qui lui sont nécessaires, et ayant puisé auprès d'Osiris, dans la nuit du serdab, la "Caverne de Nouou", la puissance créatrice (17).

1. Traduction citée dans l'article de B. MATHIEU, dans le présent numéro.
2. Voir l'article de B. MATHIEU.
3. III, 19-5. J. VANDIER, Le papyrus Jumilhac, Paris, 1961, p. 136-137.
4. Voir J.-CI. GOYON, "Momification et recomposition du corps divin : Anubis et les canopes", Funerary Symbols and religion, Essays dedicated to Professor M.S.H.G. Heermavan Voss, Kampen, 1988, p. 34-44. Sur les morceaux du corps d'Osiris et les reliques conservées dans les différents lieux sacrés, voir H. BEINLICH, Die 'Osirisreliquien', ÀgA¹ 42,1984.
5. Voir les réflexions de B. MATHIEU, dans le présent numéro, sur la durée du règne d'Osiris.
6. La croyance à la noyade d'Osiris repose sur le sens du verbe mhj. Il a été discuté par P. VERNUS, "Le Mythe d'un mythe : la prétendue noyade d'Osiris. - De la dérive d'un corps à la dérive du sens", Studi di egittologia e di Antichità funiche (Univ. de Bologne) 9,1991, p. 19-34. Selon lui, il ne signifie pas " (se) noyer", mais "baigner, être immergé", puis "s'immerger, dériver".
7, P. BARGUET, "Les textes spécifiques des différentes parois des sarcophages du Moyen Empire", RdE21,1971, p. 15-22.
8. ndj, sans doute variante de ndr. Voir P. VERNUS, op. cit., p. 19 et p. 28, n. 6.
9. Voir aussi les nombreux exemples réunis par P. VERNUS, op. cit., doc. 28 à 47.
10. Voir S. CAUVILLE, "Les inscriptions géographiques relatives au nome tentyrite", BIFAO 92,1992, p. 88-91.
11. Pour ce passage, voirJ. LECLANT, "La 'Mascarade' des bœufs gras et le triomphe de l'Egypte", MDAIKÏ4,1956, p. 128-145, en particulier p. 142-143.
12. Ce verbe est aussi utilisé dans un contexte de naissance, pour le soleil traversant les eaux célestes ; m II, 236,10,13.
13. Il est significatif de voir que dans le même document, Anubis est considéré comme une hypostase d'Horus l'enfant (P. Jumilhac, haut, VI, 3-16) : c'est Anubis qui embaume le corps et le reconstitue, alors que dans les Textes des Pyramides, ce rôle est dévolu à Horus et Nout.
14. W.M. FUNDERS PETRIE, Deshasheh, EEF 15' mémoire, Londres, 1898, en particulier pi. 35. Voir aussi B. MIDANT-REYNES et al., Egypte 8, févr. 1998, p. 8.
15. Khoiak V, 97-98, VI 128-130, Vil, 158-159.
16. Ainsi E. HORNUNG, Les dieux de l'Egypte, l'un et le multiple, éd. Champs Flammarion, Paris, 1992, p. 137-138 : "mais les textes égyptiens de la période pharaonique ne disent jamais qu'Osiris mourut (…). De Iside et Osiride de Plutarque, qui échappe aux restrictions égyptiennes, nous informe même sur les détails sanglants de l'histoire".
17. B. MATHIEU, "La signification du serdab dans la pyramide d'Ounas", dans Etudes sur l'Ancien Empire et la nécropole de Saqqâra dédiées & J.-Ph. Lauer, Orientalia Monspeliensia (Montpellier) IX/2,1997, p. 289-304.