Aux époques prospères comme aux temps les plus sombres du Moyen Empire, de la Deuxième Période intermédiaire et du Nouvel Empire, les rois portèrent une attention particulière à la ville sainte du nome thinite et dépêchèrent sur place, soucieux qu'ils étaient du sanctuaire d'Osiris-Khentyimentiou, de hauts personnages, fonctionnaires ou prêtres, chargés de vérifier l'état des lieux sacrés, de construire, au nom de leur souverain, un nouveau monument au dieu d'Abydos et, bien souvent, de diriger, en y prenant une part active, les fêtes célébrées en son honneur.
Ces hommes, investis de la confiance royale, ne manquèrent pas de consigner la façon scrupuleuse avec laquelle ils s'étaient acquittés de leur mission sur des stèles commémoratives qui constituent l'essentiel de notre documentation, avec les monuments dédicacés par certains rois qui se déplacèrent en personne afin de prendre la direction des cérémonies abydéniennes.
La célébration de celles-ci donnait lieu, la plupart du temps, à d'importants préparatifs d'ordre matériel, administratif et liturgique, placés sous la responsabilité des chargés de mission.
L'état des lieux saints était établi, des travaux de restauration ou de réaménagement étaient menés à bien, quand il ne s'agissait pas de l'érection d'un nouvel édifice consacré par le souverain à Osiris. Le personnel sacerdotal était réorganisé et le calendrier des fêtes revu et institué. Enfin, le mobilier et les objets liturgiques étaient remis à neuf ou fabriqués pour l'occasion avec les métaux et matériaux précieux confiés au chargé de mission par le roi souhaitant en faire offrande à Osiris-Khentyimentyou. Les parures, bijoux et insignes revêtus par le dieu étaient façonnés, ainsi que la nouvelle statue destinée au rite de la résurrection. L'embarcation sacrée du dieu à Abydos, la barque-Nechmet, était à chaque fois entièrement reconstruite et équipée par les soins des chargés de mission qui, dans leur stèle, rapportèrent ce fait d'importance à l'aide d'une phrase stéréotypée et fort discrète : "je dirigeai le travail dans la barque-Nechmet."

Les fêtes célébrées en l'honneur d'Osiris se composaient de plusieurs cérémonies et processions rappelant les épisodes du mythe osirien qu'elles étaient destinées à commémorer et à représenter.
Les sources du Moyen Empire et du Nouvel Empire ne donnent aucune indication sur leur durée et sur la période de l'année où elles se déroulaient.

Les célébrations débutaient probablement par la sortie d'Osiris hors du temple. Le dieu, assailli par Seth et ses partisans, était alors assassiné. Cette mort tragique, fait horrible sur lequel les Egyptiens observèrent de tout temps un pieux silence, ne paraît dans les stèles qu'au travers de rares allusions voilées. Cependant, elle a dû nécessairement précéder la première cérémonie mentionnée : la Première Sortie, péret tépyt, encore nommée la Sortie d'Oupouaout ou encore la Sortie du Sem, et qui ne saurait trouver sa justification sans le décès préalable d'Osiris.
En effet, lkhernofret, chargé de mission par le roi Sésostris III, précise que lors de la sortie d'Oupouaout, celui-ci "sort pour sauver son père" (l. 17), c'est-à-dire qu'en sa qualité de fils, revêtu des attributions d'Harendotès, il sortait du temple pour éloigner les ennemis de la dépouille d'Osiris, et il pratiquait sur elle les rites de la momification.
Assassiné, embaumé et ramené par son fils dans le temple, Osiris était devenu Khentyimentyou "Celui qui préside aux Occidentaux", le souverain des défunts.

Il s'agissait ensuite de procéder aux funérailles, et le corps du dieu était alors mené à son tombeau situé dans la nécropole désertique, à Peqer, au terme d'un long parcours comprenant trois étapes.
En premier lieu, au cours de la Grande Sortie, péret âat, Osiris-Khentyimentyou sortait du temple en cortège funèbre, précédé par Oupouaout. Porté par la barque-Nechmet, le dieu était acclamé et adoré par la foule des fidèles venus en nombre "se prosterner et contempler sa perfection".
La deuxième partie du voyage était constituée par la traversée d'une étendue d'eau symbolisant le passage entre les deux mondes. Osiris-Khentyimentyou effectuait cette navigation à bord de la barque-Nechmet sous la protection de Thot et marquait ainsi son départ définitif de la sphère des vivants et son appartenance à l'au-delà sur lequel il régnait désormais. Selon toute vraisemblance, cette traversée se déroulait sur le lac sacré d'Abydos, dans des conditions matérielles qui restent inconnues.
La dernière partie du trajet, le dieu la parcourait dans la solitude, seulement accompagné de quelques officiants de haut rang.
D'après les indications d'Ikhernofret, il semble qu'à la suite de la navigation, le dieu débarquait de la barque-Nechmet pour prendre place sur la barque- Ouret, traîneau sur lequel la momie était acheminée, par voie terrestre, jusqu'à son tom beau à Peqer.
Là avait lieu l'enterrement loin de tous les regards, les textes n'en faisaient jamais mention.
Venaient ensuite les différents rites qui constituaient le moment culminant des fêtes d'Abydos : la résurrection d'Osiris. Elle se déroulait dans la Demeure de l'Or, dans le quartier de Peqer, probablement à proximité de la tombe divine.

Les rites de la résurrection proprement dite étaient accomplis durant la Nuit d'étendre-le- dieu-pour-qu'il-repose et lors du Repos-de-l'Horus-belliqueux, deux cérémonies qui, dans les sources, sont toujours associées à une troisième, la fète-Haker, laquelle prenait place après la résurrection. Selon le témoignage du roi Neferhotep I de la XIIIème dynastie, le dieu s'y rendait en grande pompe, entouré de son ennéade. Dans le secret de la Demeure de l'Or, une nouvelle figure d'Osiris était confectionnée, avec de l'electrum ou de l'or.
La divergence des textes ne permet pas d'établir avec précision à quel moment intervenait sa fabrication, pendant les préparatifs des fêtes, ou bien après les funérailles du dieu.

La statue nouvellement façonnée était disposée sur un lit en vue de la Nuit d'étendre-le-dieu-pour-qu'il-repose. La teneur exacte de ce cérémonial n'est pas connu, tout au plus pouvons nous supposer la venue à l'existence du dieu dans son effigie au moyen de l'ouverture de la bouche.
En revanche, nous connaissons l'officiant affecté à l'accomplissement des rites. Il s'agissait du chargé de mission ou d'un prêtre de haut rang suppléant le roi. Celui-ci jouait, en cette circonstance, le rôle du sa-méref, le "fils qu'il aime", en d'autres termes, Horus, pratiquant les actes de piété filiale envers son père défunt. Ses importantes attributions funéraires expliquent que, lors des fêtes d'Abydos, c'était au sa-méref que revenait le privilège insigne de mettre au monde la statue divine et de ressusciter Osiris.
Ce même sa-méref était l'Horus belliqueux, le principal acteur du Repos-de-l'Horus-belliqueux au cours duquel la renaissance devenait effective.
Reposant auprès de la statue, il était censé capturer "l'esprit" du dieu par l'exclamation Haker, "viens à moi !" La figure était alors considérée comme vivante et habitée par Osiris qui avait ressuscité et prenait alors le nom d'Onnophris.
La résurrection était annoncée au nome thinite, aux vivants comme aux défunts, qui partageaient, lors de la fête-Haker, l'exultation la plus grande et l'espérance de leur propre triomphe sur la mort.
Revenu à la vie, Osiris-Onnophris recevait ensuite à Peqer la justification, correspondant dans le mythe à celle reçue à l'issue du procès intenté à Seth devant le tribunal d'Héliopolis. Après l'attribution de l'acclamation maâ, le prophète d'Harendotès posait sur la tête du dieu la couronne de justification dans l'allégresse générale.
Cette reconnaissance d'Osiris avait comme effet, dans l'au-delà, de dénombrer les morts et de distinguer les bienheureux, victorieux du jugement.
Dans le monde des vivants, elle avait pour conséquence la transmission de la fonction royale paternelle à Horus, l'héritier légitime.

Ressuscité, reconnu juste, Osiris-Onnophris quittait Peqer à bord de la barque-Nechmet pour rejoindre triomphalement son temple par la grande voie processionnelle, au milieu de la liesse des habitants du nome thinite et de la réjouissance des défunts.
Les fêtes d'Osiris se clôturaient par un banquet servi au dieu et à son ennéade au soir du retour dans le temple.

Venons-en à quelques particularités spécifiques aux célébrations d'Abydos.
A plusieurs reprises, il a été question de Peqer, un lieu de première importance puisque, d'une part, Osiris y était inhumé et que, d'autre part, il y ressuscitait dans la Demeure de l'Or, et y recevait la justification.
Dans l'immense nécropole abydénienne, la localisation géographique de ce que désigne Peqer pose problème. Le lieu-Peqer, où était enterré Osiris, peut être identifié avec sûreté à Umm al-Gaâb, l'antique cimetière des souverains des premières dynasties thinites où, dès le Nouvel Empire, les Egyptiens localisèrent le tombeau d'Osiris en celui du roi Djer.
Quant à la Demeure de l'Or, elle devrait logiquement faire partie du temple d'Osiris. Peut-on raisonnablement envisager, à la suite des funérailles, un retour du dieu défunt dans la Demeure de l'Or de son sanctuaire pour y recevoir une nouvelle forme, puis un départ pour Peqer en vue de la résurrection et de la justification ? Cela paraît difficile, et il faut bien se résoudre à admettre qu'il existait à Peqer, c'est-à-dire à Umm al-Gaâb, un endroit faisant office de Demeure de l'Or, bien que sur le terrain aucun vestige archéologique ne vienne le confirmer.

Les fêtes abydéniennes, nous l'avons dit, commémoraient et représentaient le mythe osirien dans lequel Isis exprime une personnalité de premier plan, et joue le rôle principal. Or, à Abydos, l'absence de la déesse est totale, au sein du panthéon comme dans les célébrations. Cette non-présence d'Isis dans la ville sainte d'Osiris paraît d'autant plus paradoxale que l'importance du rôle tenu par la déesse dans le mythe se développe avec le temps. Elle s'explique cependant par la théologie des divinités féminines locales qui, par le biais de la déesse-lionne Tefnout, accorde la préférence à Hathor.

Oupouaout est le personnage central qui cumule toutes les fonctions essentielles, y compris les attributions traditionnellement échues à Isis dans le mythe. Il est le dieu éclaireur qui ouvre la voie aux processions d'Osiris, mais il est surtout le fils, l'héritier, donc Horus, Harendotès, Horus belliqueux, le sa-meref et le Prêtre-Sem».
Il est probable que les rois en personne ou leur chargé de mission jouaient physiquement tous les rôles d'Oupouaout, mis à part celui d'ouvreur des chemins pour lequel le dieu paraissait.
sous sa forme habituelle du canidé debout sur un pavois. Cette importance, Oupouaout la doit à la nature particulière des fêtes abydéniennes qui, à partir du Moyen Empire, ont associé la tradition originelle d'Abydos du cérémonial des funérailles du roi défunt Khentyimentyou et de la transmission du pouvoir royal à son héritier, le roi vivant Oupouaout, avec la représentation du mythe osirien.
Primitivement fils du roi décédé, Oupouaout s'appropria tout naturellement les fonctions du fils d'Osiris et celles d'Isis, qui ne pouvait avoir sa place dans les rites abydéniens des origines.
L'absence remarquable d'Isis à Abydos trouve donc une explication à la fois dans le jeu des syncrétismes au sein du collège divin du lieu et dans la survivance d'une tradition locale, antérieure à l'arrivée d'Osiris et fortement marquée par un passé historique ancien et prestigieux qui lui avait conféré son caractère royal et funéraire.

Un dernier point concerne la signification et la destination accordées par les Egyptiens eux- mêmes aux fêtes d'Abydos.
Sur les stèles de Montouhotep et de Sehetepibrê, hauts fonctionnaires et chargés de mission des rois Sésostris Iet Amenemhat III, ainsi que sur l'inscription du British Muséum de Nebouâouy, Premier Prophète d'Osiris sous Thoutmosis III, nous pouvons lire : "je jouai le rôle du sa-meref dans la conduite de la Demeure de l'Or dans le mystère du seigneur d'Abydos." Ce même grand prêtre, sur une autre stèle du musée du Caire, déclare : "j'ai accompli les mystères (chétaou) pour mon seigneur, en qualité de gardien de la maison de son père".

D'après ces témoignages les plus significatifs, les cérémonies abydéniennes célébrées pour Osiris étaient considérées comme un ou des mystère (s) par les membres du haut clergé depuis le Moyen Empire.
Quel est le sens à donner au terme "mystère (s) " ?
En premier lieu, il pourrait être fait référence à des rites accomplis en secret loin des regards indiscrets, en présence d'un nombre restreint d'officiants. Si tel était bien le cas pour certaines cérémonies des fêtes d'Osiris, en revanche, les "sorties" étaient des processions qui se déroulaient en public.
Une deuxième signification pourrait être rapprochée de celle du mystère de notre Moyen Age chrétien, représentation dramatique de l'Histoire sainte qui, en l'occurrence, ne constitue seulement qu'une partie des célébrations abydéniennes.
Enfin, une troisième voie pourrait orienter vers les mystères de la Grèce ancienne, d'autant plus que, de longs siècles plus tard, ayant assisté à des rites osiriens à Sais, Hérodote est formel sur leur signification : ce sont des mystères comparables à ceux existant dans la religion grecque.
Est-il possible de considérer les fêtes célébrées à Abydos en l'honneur d'Osiris comme la contrepartie égyptienne des mystères grecs ? La réponse demeure encore très controversée, et nous ne pouvons apporter que quelques éléments tirés de nos documents abydéniens, non sans avoir préalablement exposé ce qui caractérise les mystères en Grèce.
Selon le peu d'informations recueillies sur ceux d'Eleusis, les mieux connus, il s'agissait, pendant plusieurs nuits et plusieurs jours, de placer les impétrants dans certaines dispositions psychologiques à l'aide de cérémonies et de rites célébrés dans le plus grand secret. Les mystes, ainsi préparés, recevaient la révélation par le dévoilement de la parole sacrée et par l'ostentation d'objets symboliques. Devenus des initiés détenteurs de la Connaissance, ils étaient, à ce titre, libérés de la peur et accédaient à l'état de béatitude et de sérénité. Toutefois, ils étaient tenus de garder le secret le plus absolu sur le Savoir dont ils étaient désormais les dépositaires.
A Abydos, le secret est le plus aisé à mettre en évidence dans les inscriptions relatives aux cérémonies honorant Osiris. Tous ceux, souverains, chargés de mission ou membres du clergé de haut rang, qui furent amenés à prendre la direction de la célébration des fêtes abydédiennes, l'ont rapporté sur leur stèles en utilisant différents procédés visant à la plus grande discrétion possible.
Par exemple, lkhernofret et quelques autres citent volontairement dans le désordre les rites et les processions qu'ils mêlent aux descriptions des préparatifs et aux fonctions qu'ils ont tenues pendant les cérémonies, le tout étant parfaitement incompréhensible pour un lecteur non averti.
Un autre subterfuge consiste à faire de la rétention d'informations à l'aide de phrases toutes faites qui se retrouvent d'un monument à l'autre et qui ont l'avantage de ne pas dévoiler grand-chose au profane : "je revêtis le dieu de ses couronnes dans ma fonction de chargé du mystère et dans ma charge de prètre-sem. Je fus habile de mains dans l'acte d'orner le dieu, un prêtre-sem aux doigts purs" (Stèle du Caire CG 20538, II, 6-7). Enfin, il arrive qu'un terme particulièrement significatif comme la barque-Nechmet ou "mystères" (chétaou), soit l'objet d'une simplification graphique destinée à le rendre méconnaissable. Ce procédé fut utilisé par Nébouâouy, premier prophète d'Osiris sous Thoutmosis III, sur ses deux stèles (British Muséum 1199,18 et musée du Caire CG 34018,5).
Ainsi tous les moyens étaient-ils employés pour préserver le secret sur ce qui se passait à Abydos.

La béatitude et. la sérénité sont perceptibles dans les formules des stèles qui représentent deux catégories de défunts. La première réunit des personnes qui, de leur vivant, ont pris part aux fêtes : les rois, leurs suppléants, les prêtres et certains particuliers. Ayant quitté la vie terrestre, ils veulent conserver les bienfaits acquis par leur participation aux cérémonies et accéder à la béatitude des Akhou, suivants privilégiés d'Osiris. C'est pourquoi, ils ont fait ériger à l'Escalier du Dieu Grand, c'est-à-dire à proximité du temple et de l'emplacement des processions, des monuments commémorant leurs activités lors des fêtes d'Abydos.
La seconde rassemble la plus grande majorité des morts qui n'ont pas eu le privilège d'y assister pendant leur vie, mais qui souhaitent y participer pour l'éternité.
Les familles ont dressé pour eux une ou plusieurs stèles près de l'Escalier du Dieu Grand afin qu'ils puissent voir le déroulement des cérémonies et ainsi retirer les mêmes bienfaits que ceux qui y ont pris part de façon effective.
Il semble bien en effet que la présence des défunts par leur stèle interposée sur le lieu des célébrations ait suffi à les faire bénéficier dans l'au-delà des places éminentes auprès d'Osiris parmi les bienheureux.

Après avoir passé l'épreuve ultime du dénombrement et du jugement lors de la fête-Haker, l'ensemble des trépassés, ceux qui avaient participé aux cérémonies pendant leur vie et ceux qui y avaient assisté depuis l'autre-monde par l'intermédiaire de leur stèle, avait accès à la béatitude et à la sérénité des Akhou, dont les avantages sont énumérés dans la phraséologie de ce qu'on est convenu d'appeler la glorification abydénienne, fréquente sur les monuments funéraires du Moyen Empire.
Le Akh est acclamé par tous les êtres divins ou humains peuplant le nome thinite ; il est couvert d'offrandes lors des festivités ; il est membre de la suite d'Osiris et est admis en sa présence ; victorieux et justifié, il est identifié au Dieu Grand, ce qui lui garantit l'espoir du triomphe sur la mort et la perspective d'une vie éternelle sereine.

Le caractère spécifique des fêtes d'Abydos réside bien là, en ce que les rites et les processions étaient accomplis pour l'assistance des vivants et surtout pour celle de tous les défunts de la nécropole, afin qu'ils bénéficient dans leur au-delà du même statut privilégié et du même état de béatitude que ceux dont bénéficiaient les participants effectifs, une sorte d'initiation post-mortem qui ne paraît pas avoir existé dans les cérémonies à mystères de la Grèce antique.