La fête en Égypte ancienne n'est pas une commémoration, mais la réactualisation d'un mythe par le biais de rites spécifiques. Son fondement se situe dans le retour régulier d'un évènement précis, agricole, astronomique, mythologique… Les fêtes sont synonymes d'offrandes, suivent un rituel précis, et transportent les participants (qui deviennent porteurs d'un rôle mythologique) du monde quotidien vers le monde divin, les rapprochant de la compagnie des dieux.

Au Nouvel Empire, à la fin du mois de khoiak (dernier mois de la saison de l'inondation) et au début de celui de tybi (1er mois de la saison de la germination) se succèdent à Thèbes toute une série de festivités en rapport avec Sokar. Elles font intervenir une plante spécifique, l'oignon égyptien, dont l'aspect et le cycle reproductif ont inspiré aux prêtres théologiens des maisons de vie de savants rapprochements. Ce cycle festif culmine dans la grande fête netjeryt de Sokar et se termine par la fête de Neheb-kaou. La fête de Bastet, au début de pharmouti (4e mois de la saison de la germination) clôt véritablement le cycle sokarien.

Chronologie

Le 22 khoiak (26 octobre) se déroule le rituel "piocher la terre", peut être un rite agraire, lié tardivement au mythe de Sokar.

Le 23 khoiak, onction, libation, purification… débouchent sur l'embaumement d'Osiris-Sokar.

La nuit du 23 au 24 khoiak, le Rituel de l'Ouverture de la Bouche est lu en entier lors d'une grande veillée funèbre.

La journée du 24 khoiak est entièrement tournée vers la protection de la momie.

La nuit du 24 au 25 khoiak, une procession suivie d'une navigation transporte la momie vers sa tombe.

La journée du 25 khoiak, on mime la navigation du défunt à bord de la barque neshemet vers Abydos, la cité sainte d'Osiris, où différents rites funéraires sont accomplis. À cette occasion, les ennemis de Sokar-Osiris sont exterminés rituellement.

La nuit du 25 au 26 khoiak, le défunt assimilé à Sokar est rendu divin, sa momification ayant permis la reprise des facultés vitales : les pouvoirs de Sokar-Osiris momifié sont restaurés.

À l'aube du 26 khoiak (30 octobre) Sokar-Osiris démembré est devenu un Osiris solarisé. C'est le jour de la vraie fête de Sokar, netjeryt, avec halage de sa barque Henou (qui lui est consubstantielle), et grande procession qui fait "le tour des murs".

Le 28 khoiak on tire l’obélisque.

Le 30 khoiak on érige le pilier Djed.

Le 1er Tybi a lieu la fête de Neheb-kaou.

L'oignon d'Égypte

(ce qui suit constitue pour l'essentiel un résumé des articles de Catherine GRAINDORGE-HEREIL - voir bibliographie)

En égyptien, l'oignon s'écrit HDw, avec parfois le déterminatif général du végétal à la place des trois oignons. Signalons que de nombreux auteurs traduisent HDw par "ail" ; il semble qu'ils aient tort, mais il n'est pas exclu que, dans certaines circonstances, les deux plantes soient interchangeables.
Un texte affirme qu'à l'origine de l'oignon HDw se trouvent les dents de lait (jeu de mots avec HD, blanches) d'Horus qui germèrent dans le sol après leur chute. De même, l'œil blanc d'Horus "qui provient de la terre" peut être assimilé à cet oignon blanc qui jaillit du sol. De plus, l'œil et la dent d'Horus sont interchangeables…

Nous parlons ici d'un oignon particulier, Allium cepa L, dit égyptien ou à tronc, qui mesure environ 1m de haut. Il se reproduit par le bulbe (sur et dans la terre), mais aussi, fait unique, par des grappes de bulbilles au sommet des tiges.
Culture : fin septembre (donc au solstice d'hiver) est réalisé un semis sur terre sablonneuse ; 28 jours plus tard (un mois lunaire), les oignons primeurs des bulbilles peuvent être consommés ou replantés. Les gros oignons se récoltent en février, moment où les jours s'allongent. Voir un résumé du cycle bisannuel de la plante .

Propriétés médico-magiques attribuées par les anciens Égyptiens à l'oignon

Outre son utilisation dans l'alimentation quotidienne, la croyance populaire prête à l'oignon

de nombreuses utilisations médicinales, circulatoires, antiinflammatoires, … à tel point qu'il devient un moyen quasi universel d'éloigner la maladie et le mauvais œil.

des propriétés anti-serpents (curative, préventive, répulsive). Propriété célébrée lors de la fête de Bastet, en février. Il existe un rapprochement entre HDw "oignon" et HD "détruire".

dans la momification, on fait appel dès la XIe dynastie à ses propriétés antiseptiques et désodorisantes. Il est enfoui dans le corps, sur le corps, entre les bandelettes, autour des jambes de la momie.

Oignon et culte funéraire

Les oignons font partie des offrandes présentées aux dieux et aux hommes, toujours associés à d'autres légumes.
Lors de la nuit de la grande fête netjeryt de Sokar se produit la divinisation du défunt par l'intermédiaire des oignons nouveaux, blancs, lumineux (rapprochement HDw "oignon" avec HD "lumière").
Lors du rituel d'ouverture de la bouche, les oignons purifient la bouche, et il existe un jeu de mot entre sk (nettoyer) r (la bouche) et Skr (Sokar). Puis il rendent lumineux le visage, prélude de la restitution au défunt de son cœur solaire. Le chapitre 172 du Livre des Morts s'inscrirait dans ce contexte: "Tu mâches de l'oignon par crainte de ton cœur". L'oignon apparaît comme la garantie du maintien d'un cœur protégeant le défunt et c'est un instrument de renaissance solaire.Dès lors, les oignons présentés aux narines du défunt lui permettent d'acquérir le nouveau souffle de vie.

Seule plante d'Égypte qui se reproduit en même temps sous terre, sur le sol et sur une tige, l'oignon égyptien évoque donc parfaitement les potentialités de Sokar, être chthonien habitant la Douat, mais intervenant dans le surgissement de la "Première Fois" et prenant souvent la forme d'un faucon céleste. Ce cheminement vertical le met donc en contact avec tous les niveaux de l'univers.

La fête netjeryt Grande Fête de Sokar (26 khoiak)

"Fête de la divinisation", elle renouvelle l'union entre Horus, manifestation cosmique de la renaissance, et Sokar-Osiris, devenu une entité chtonienne. Il s'agit de restaurer les pouvoirs de Sokar-Osiris momifié et placé dans sa tombe, avant la grande procession de la barque Henou le 26 khoiak dans la nécropole. Le rite qui accompagne cette transformation repose sur l'offrande spécifique d'oignons.

Cette cérémonie se déroule également dans la nécropole privée thébaine. Au cours de la nuit du 25 khoiak, les prêtres du ka, ou la famille du défunt, effectuent des libations et fumigations dans les chapelles des tombes. Durant la nuit et jusqu'à l'aube, les vivants composent des colliers d'oignons et les nouent autour de leur cou et réalisent aussi des assemblages de tiges d'oignons en un faisceau couronné d'une anse, qui sont offerts à Sokar et aux défunts : ils vont permettre d'acquérir le souffle de vie lors du rituel d'Ouverture de la Bouche. On retrouve dans les textes des expressions comme "nouer des colliers d'oignons la nuit divine" ou le "matin divin" ou on demande à "suivre Sokar avec des oignons autour du cou".
Les oignons interviennent ici afin de nettoyer la bouche (et donc les dents) et ainsi d'illuminer le visage du défunt. Lors de l'ouverture de la bouche, cinq bulbes d'oignons sont offerts au défunt, chacun correspondant à un des orifices devant être ouvert : "Cinq bulbes d'oignons, Osiris N. que voici, je t'apporte tes dents blanches, venus frais. Que ton visage en soit éclairé!"

Au Nouvel Empire, Ptah-Tatenen et Sokar sont devenus les deux états complémentaires d'un même principe divin : Tatenen est la terre qui se soulève créant ainsi une surface traduisant le surgissement de la "Première Fois", Sokar est le principe de transformation permettant d'apparaître au-dessus de la surface du sol.
Parallèlement, à Thèbes, se produit une fusion entre Horus, manifestation cosmique de la renaissance solaire, et Osiris-Sokar devenu principe chthonien. Cette fusion fait intervenir, à cette date précise du 25 khoiak (29 octobre) les oignons. En effet, le calendrier agraire définit parfaitement la liturgie : les oignons plantés fin septembre et cueillis fin octobre sont annonciateurs de la lumière à venir et vont être transplantés dans la terre pour être mâchés lors de la fête de Bastet, le 5 février, au moment où tous les serpents sortent de leur hibernation et où les hirondelles commencent à revenir annonçant le soleil d'été.

La fête de Neheb-kaou (1er tybi)

Dieu serpent ou à tête de serpent, "Celui qui approvisionne les kas" a un rôle ambivalent, dangereux mais aussi bénéfique. Il est écrit que les défunts demandent à lui être recommandés dans l'au-delà. Comme le souligne Shorter, on comprend mal comment cette entité obscure a donné lieu à une fête d'une telle importance. À moins de considérer une tradition qui le dit fils du dieu de la terre, Geb, et de la déesse des moissons, Renenoutet. Depuis le Nouvel Empire, Neheb-kaou a un lien étroit avec Sokar.
Ce jour de la fête de Neheb-kaou correspond également à un des deux jours de l'an de l'année égyptienne, "le 1er jour de l'année", car il y a un autre jour de l'an en été, avec la venue de l'inondation…

La fête de Bastet, ou fête de "mâcher des oignons" (4 pharmouti)

Les faisceaux d'oignons à anse sont aussi présents dans le rituel de cette fête à Bastet. Il s'agit cette fois d'oignons matures, qui sont consommés la nuit du 4 pharmouti (5 février). Les oignons ont mûri sous terre dans un milieu obscur et sablonneux, évoquant le domaine de Sokar dans la Douat. La fête de Bastet, véritable fin du cycle sokarien, devient une fête "anti-serpent". Les ophidiens qui hibernaient dans le sol par le pouvoir des oignons sortent, menaçant l'ascension de la lumière estivale tout comme Apophis menace le cheminement de la barque solaire dans la Douat lors du voyage nocturne du soleil. Bastet, une des déesses félines qui personnifient l'œil brûlant de Rê dans le mythe de la déesse lointaine, devient alors la protectrice du brûlant soleil d'été.